C’est dans une ruelle étroite en plein cœur de Paris, dans le quartier de Châtelet, que Jean Redeuil, un homme menu à la longue barbe grise, nous accueille au sein de la bagagerie solidaire de l’association Mains Libres.
Au rez-de-chaussée de ce local sur deux étages se trouve la bagagerie en tant que telle. C’est-à-dire une pièce fermée à clé qui comprend 52 casiers, chacun attribué à une personne qui peut y déposer ses affaires. À l’étage, une grande pièce lumineuse sert de salle d’accueil aux usagers de la bagagerie. Ils y trouvent toujours une boisson chaude, parfois quelques viennoiseries ou du pain, offerts par la boulangerie du quartier. Des ordinateurs sont également mis à disposition de ceux qui en auraient besoin pour leurs démarches administratives ou de recherche d’emploi.
Lancée en 2006, cette bagagerie n’est pas la première à Paris, ni en France. Mais elle a ceci de particulier qu’elle a été pensée par et pour les personnes sans domicile fixe. « Françoise Aba, de l’association ATD Quart Monde, venait régulièrement au point de rencontre pour SDF de la Porte Saint-Eustache (à Paris, N.D.L.R.) », raconte Jean Redeuil, président de l’association Mains libres. Un jour, elle a réalisé un sondage auprès des SDF pour savoir ce dont ils auraient besoin en priorité. Il en est ressorti un service de bagagerie ».
Avoir avec soi valises, tente et autres sacs remplis d’affaires est non seulement stigmatisant pour les personnes SDF mais contraint également leurs mouvements. Il existe, de plus, une possibilité de les perdre ou de se les faire voler. « La bagagerie permet de se débarrasser de ses affaires pendant la journée », résume Jean Redeuil. Et donc de pouvoir vaquer à ses occupations et être libre de ses mouvements. Une condition nécessaire pour chercher un emploi, aller à des rendez-vous, mener des démarches administratives…
Adaptée aux besoins des personnes sans domicile, la bagagerie Mains Libres est ouverte 7 jours sur 7, toute l’année. Et elle est gratuite. Les usagers peuvent déposer ou retirer leurs affaires pendant les deux permanences quotidiennes : celle du matin, entre 7 heures et 9 heures, et celle du soir, entre 20 heures et 22 heures.
Mais la bagagerie n’est pas une « consigne de gare », prévient le président de l’association, lui-même sans domicile fixe. C’est pourquoi les usagers doivent s’engager à se rendre à l’association trois ou quatre fois par semaine : ils participent à sa gestion et aux permanences. Sept d’entre eux siègent également au conseil d’administration, aux côtés de sept membres représentants les ADF (c’est-à-dire des personnes « avec domicile fixe »), petit nom donné aux habitants du quartier calé sur l’acronyme SDF. Ensemble, ils prennent les décisions relatives à l’association.
Mains libres est également un lieu de rencontres et d’accompagnement social, pour les personnes qui le souhaitent, grâce au soutien des associations partenaires, Aux captifs la libération et les maraudes d’Emmaüs. Et puis, comme le révèle la galerie de photos exposées dans l’escalier menant au premier étage du local, dont la location est financée par la Mairie de Paris, l’association organise régulièrement des événements conviviaux, en interne ou dans le quartier : le repas annuel de nouvelle année, un vide-greniers, le vestiaire d’un bal de quartier…
Outre rendre les mains libres, l’association permet bien plus : redonner de la voix aux SDF et leur offrir une meilleure visibilité auprès des habitants, pardon des ADF. Les débuts n’ont pas été faciles. « Les personnes SDF sont associées à la consommation de cigarettes, d’alcool, de nuisances… il faut gagner leur confiance », explique Jean Redeuil. Mais petit à petit, les préjugés tombent et les regards changent. Le vide-greniers autour de la Bourse à Paris, organisé de A à Z par les membres de l’association, montre par exemple tous les ans que « les SDF ne savent pas rien faire ».