Valentine Goby, autrice d’un roman sur le handicap et la résilience

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Par Hélia Chadeffaud

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© Renaud Monfourny

Murène, le roman de Valentine Goby, a obtenu le Prix Solidarité 2019. Un prix littéraire qui récompense un ouvrage valorisant l’entraide et la générosité. Rencontre avec l’autrice.

François Sandre, le héros de votre roman, est victime d’une électrocution qui le prive de ses deux bras. Peu d’appareillages existent et il doit se confronter au regard des autres. C’était important de parler du rapport à la différence ?

Valentine Goby : C’est essentiel. Le rapport à la différence, nous en faisons tous l’expérience dans nos vies. Simplement François, dans l’image qu’il donne au monde, incarne ce questionnement d’une manière radicale. Mais ce n’est pas le seul sujet. L’essentiel, c’est d’essayer de comprendre comment, dans les tragédies qui nous assaillent (nous sommes nés pour mourir), nous traversons des tas de petites apocalypses sans jamais devancer la tragédie finale.

François, à 22 ans, il est mort, mais il choisit de continuer à vivre. Ça interroge chez nous cette capacité que nous avons à nous appuyer sur la tragédie pour poursuivre notre chemin. Voilà quelqu’un qui, à partir de sa singularité et des divers empêchements qui surgissent dans son existence, tente de s’inventer complètement. C’est une vraie source d’émerveillement pour moi de voir comment l’être humain ne cesse, dans ses métamorphoses, de s’inventer, se réinventer.

Votre roman se situe dans les années 50. C’est aussi le moment de la naissance du handisport, un univers que vous connaissez bien ?

V.G. : Les années 50, ce sont les balbutiements de plein de choses. On est au sortir de la guerre, il y a cette petite Association Sportive des Mutilés de France, constituée de quelques jeunes résistants qui n’ont pas envie de subir toute leur vie les conséquences des risques extraordinaires qu’ils ont pris et qui veulent continuer à faire fonctionner leurs corps magnifiques. Mais ce n’est pas la seule aventure. François évolue dans un univers dans lequel les aventuriers sont partout. Et il va falloir qu’il en devienne un aussi.

Les aventuriers, ce sont aussi les médecins qui à cette époque-là, tentent de réparer un corps avec des soins à peine élaborés. Le premier service de grands brûlés, par exemple, est né en 1952, à Lyon. Les équipes médicales ont dû, elles-aussi, inventer de nouvelles pratiques pour accompagner quelqu’un comme François. Il n’y a pas non plus l’appareillage intelligent d’aujourd’hui. Uniquement des prothèses mécaniques, qui ne peuvent pas restaurer le corps de cet homme ni ses mouvements. Et pourtant, est en train de s’inventer ce qui va devenir la prothèse myoélectrique (les contractions musculaires du moignon sont captées par des électrodes). J’ai voulu l’inscrire dans une époque qui parle de cet esprit d’aventure, de créativité, et du désir de construire et de croire en des projets qui peuvent sembler fous.

Même si la technique va échouer pour François, d’autres choses vont réussir. Il va parvenir à recréer son quotidien. Le handisport, sans consoler la perte, va lui permettre d’incarner moins la déficience que le potentiel. C’est une aventure magnifique d’opérer cette révolution. Au départ, il est vrai que je me suis intéressée à la naissance du handisport, dans les années 50, mais ce qui m’a vraiment convaincue d’ancrer le roman à cette époque-là, c’est cette société bouillonnante dans tous les domaines.

Amputé de ses deux bras, François Sandre est confronté à la dépendance. La place de la famille, de l’entourage est importante dans votre roman ?

V.G. : La place de la famille est essentielle bien sûr. Et en même temps, elle est douloureuse. C’est une famille solide, aimante. Les liens entre eux sont très forts. Puis il y a l’accident, la chambre d’hôpital et les soignants qui deviennent le corps maternant, les géniteurs d’un nouveau corps. Et il y a cette grande humiliation pour François de la dépendance, l’horreur de voir se reproduire des gestes de la toute petite enfance, du temps où il était petit garçon et dépendant pour des raisons logiques et naturelles.

Cette situation va donc aussi recomposer la famille. Le père doit repenser sa relation à son garçon qu’il voyait comme une espèce d’archétype de la virilité. La petite sœur aussi, qui a toujours été celle qu’on aide et qu’on soutient. Les rôles s’inversent à ce moment-là et elle devient la seule autorisée à accomplir les gestes maternels qui sont trop humiliants pour François. La famille est un environnement essentiel parce que c’est celui qui aime sans justification et immédiatement ce garçon pourtant si étrange.

D’un manque terrible, François Sandre arrive à faire une force et à s’accomplir. Avec la découverte de l’eau, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à lui. C’est la capacité humaine à se réinventer?

V.G. : C’est une réinvention complète du monde. Ce garçon va devenir un artiste par la force des choses. Les mouvements que nous exécutons machinalement tous les jours, nous les avons appris par imitation et ils sont ancrés à vie. Pour François, la réinvention du geste revient à accomplir des chorégraphies. C’est-à-dire à penser chaque mouvement en le décomposant à la manière d’un danseur qui est obligé de visualiser plan par plan chacun de ses gestes. Il doit penser constamment son rapport au monde, ce dont nous n’avons pas l’habitude, lorsque nous ne vivons pas de traumatisme. Il suffit de se casser un poignet, pour se rendre compte, avec la rééducation, à quel point tout ce que nous avons crû acquis est une composition.

François décide de retrouver son indépendance, ce qui est presque une utopie. Il va choisir de se mettre à nager, faire du sport et de la compétition sportive. Puis il va croire, en s’étant d’abord beaucoup découragé, que l’amour, l’amitié sont possibles, et que travailler et être utile aux autres est possible. Il y a quelque chose de beau chez lui qui consiste à croire en chacun de ses projets alors qu’il n’a aucune certitude. C’est un talent, c’est ce que j’appelle l’imagination.

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