Cécile et Bernard Pivot : deux générations de lecteurs

Publié le

Par Angélique Pineau

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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© Agnès Pivot - crédit vidéo : Angélique Pineau

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[VIDÉO] Lui, se présente comme un « lecteur professionnel ». Elle, dévore les livres dès qu’elle a un moment. Tous deux sont devenus de vrais férus de lecture : le premier par nécessité, la deuxième par goût. Rencontre avec Bernard Pivot et sa fille Cécile.

Dans votre livre Lire !, vous encouragez la lecture. Selon vous, quels en sont les bénéfices ?

Bernard Pivot : J’ai toujours considéré que la lecture était le contraire d’un repliement sur soi, plutôt une ouverture au monde. La vie de la plupart des gens se passe dans leur cercle familial avec quelques amis et quelques relations professionnelles. Cela ne va pas plus loin. Alors que la lecture vous permet d’élargir votre cercle de connaissances, d’entrer dans l’intimité de gens que vous ne connaissez pas, de vous frotter à des idées qui ne sont pas les vôtres, qui peuvent vous choquer mais aussi vous séduire. C’est l’occasion de rencontrer des personnages historiques, des civilisations disparues… Lire, c’est en quelque sorte accroître son carnet d’adresses.

Cécile Pivot : Quand vous avez du plaisir à lire, cela a forcément des répercussions sur votre bien-être. Après, il n’empêche qu’il faut quand même se bouger. Mais on peut faire les deux ! Hier, j’étais à ma salle de gym. En attendant mon cours, je faisais du vélo et je lisais en même temps. Je lis en marchant aussi, mais sur des trajets que je connais et en relevant régulièrement la tête, bien sûr.

 

Lire aide aussi à relativiser ?

Bernard Pivot : Lorsque vous êtes dans le chagrin, que vous avez un ennui, quel qu’il soit, si vous lisez un livre dans lequel il se passe des choses absolument terrifiantes, par comparaison vous vous dites que ce que vous vivez n’est pas aussi terrible que vous l’imaginiez. Si vous avez des ennuis familiaux et que vous lisez Les Hauts de Hurlevent, je peux vous dire que vous relativisez. En tout cas, moi, je fonctionne comme cela.

 

À l’inverse, peut-on lire quand est trop heureux ?

Bernard Pivot : Pour moi, non. Si vous êtes amoureux par exemple, vous ne pouvez pas lire. Vous êtes dans une sorte de plénitude extatique – qui ne dure pas longtemps – et qui fait que vous pensez au rendez-vous que vous allez avoir. En revanche, ce qui peut être agréable, ce sont les poèmes.

Cécile Pivot : Pour moi, oui. Lire accompagne mon bonheur. Je n’ai pas de problème pour lire si je suis heureuse, amoureuse, pas du tout. Je vais sûrement être plus distraite qu’en temps normal mais du coup, c’est un plaisir de me replonger dans mon livre. Alors qu’à l’inverse, lorsque je suis malheureuse, je n’arrive pas à me concentrer, je ne pense qu’à moi. Aucun écrivain ne me plaît, ne me console. Là-dessus, je suis tout le contraire de mon père.

Bernard Pivot : Au fond, le bon état de la lecture, c’est un climat tempéré. Pas de fièvre. Une sorte de bonheur calme, tranquille, sans vagues. Si vous êtes dans la colère ou dans une joie excessive, dans la révolte ou l’apitoiement sur vous-même, ce ne sont pas de bons moments pour lire. Par exemple, si vous vous levez le matin et que vous êtes en pleine joie, ce livre va bénéficier de votre humeur. Si en revanche, vous vous dîtes que vous avez une très mauvaise journée qui s’annonce, alors le livre va perdre un peu de son intérêt à vos yeux. Il faut donc toujours se méfier de notre humeur du moment. Mais ça c’est un réflexe professionnel. J’y pense en ce moment car je commence à lire pour le prix Goncourt.

Cécile Pivot : Pour ma part, je pense aussi qu’il y a des livres qu’il faut réserver aux vacances. Si vous avez un emploi du temps chargé toute l’année, ce n’est pas forcément le moment de se dire « tiens, je relirai bien Dostoïevski ». Il vaut mieux attendre d’avoir des congés si on n’a le temps de lire que 5 ou 6 pages dans la journée. Ceci est valable pour les lectures un peu plus ardues, les gros livres.

 

Est-ce que, pour vous, lire est vital ?

Bernard Pivot : Oui et non. Il y a des gens très intelligents qui ne lisent pas et qui réussissent dans la vie. On remarque quand même que beaucoup de lecteurs ont une approche de la vie, notamment professionnelle, plus fine que bien des gens. Sans qu’ils le sachent, leurs lectures ont imprégné leur mental, leur sensibilité. Pour moi, cela a été vital dans la mesure où c’est devenu ma profession. Mais, adolescent, je n’étais pas un grand lecteur. Absolument pas. Je préférais le football. Je le suis devenu par nécessité, parce que je suis entré au Figaro littéraire. Bien sûr, je lisais un peu, comme tout le monde, un peu d’Aragon, de Blondin, de Félicien Marceau. Cécile, elle, est devenue une grande lectrice par goût.

Cécile Pivot : Pour moi, oui, c’est vital. Il n’y a pas une journée de ma vie où je ne lis pas. Et depuis toujours. Mais à vrai dire, je ne sais pas bien ce que l’on fait de son temps libre si on ne lit pas.

 

Cécile Pivot, vous auriez pu ne pas aimer lire, faire un rejet, voyant comment la lecture accaparait votre père ?

Oui, bien sûr, cela aurait été possible, mais ça ne m’est jamais venu à l’esprit car j’ai toujours aimé lire, toute petite déjà. Mes parents n’ont jamais eu besoin de me forcer et ils ne l’auraient pas fait de toute façon. On a grandi, ma sœur et moi, au milieu des livres, il y en avait partout. Notre père passait sa vie dans les bouquins. Donc c’est vrai que j’aurais pu prendre les livres en haine.

Bernard Pivot : Compte tenu de ton caractère à l’époque, souvent en opposition, normalement tu aurais dû prendre en grippe la lecture, les livres…

 

On dit parfois que l’écrit est menacé avec le développement des écrans. Cela vous inquiète ?

Cécile Pivot : Oui, c’est quand même un peu inquiétant. Après, tout dépend comment on utilise les écrans. Il y a aussi des choses très intéressantes sur internet. Ce n’est pas l’écran en lui-même qui est dangereux, c’est ce que l’on y regarde parfois et le temps qu’on y passe. C’est compliqué de faire lire les adolescents aujourd’hui. Les enfants, eux, lisent beaucoup. C’est après que cela se gâte, une fois qu’ils ont un portable. Je dirais surtout que les jeunes lisent différemment aujourd’hui, ils zappent plus et après, c'est difficile pour eux de se concentrer sur la lecture d’un livre. En revanche, ils peuvent y revenir plus tard. Ma fille lisait beaucoup petite, elle a carrément lâché à l’adolescence et elle se remet à la lecture aujourd’hui, à 21 ans. Il ne faut jamais désespérer en tout cas. Tant que nos enfants sont chez nous, on peut de temps en temps leur dire : « Tiens, j’ai lu ça, ça pourrait te plaire », les conseiller et les emmener à la bibliothèque, à un salon du livre…

 

Bernard Pivot, vous dîtes que les jeunes qui lisent sont des héros. Pourquoi ?

Ils ont tellement de sollicitations par les écrans, les jeux, la fiction que ceux qui, d’un seul coup, stoppent leur smartphone, la télévision ou leur ordinateur et disent « je me retire dans ma chambre et je lis », pour moi ce sont d’une certaine manière des héros. Ils coupent toute relation avec leurs copains. Il faut une sacrée volonté. Pendant une demi-heure, ils ferment toutes les écoutilles les unes après les autres et ils lisent. Je trouve cela admirable.

 

Les nouvelles technologies peuvent aussi être un outil pour lire, on pense notamment aux liseuses.

Bernard Pivot : C’est un autre moyen de lire qu’il faut encourager. Même si, Cécile et moi, nous préférons le papier à cause de l’objet du livre, sa sensualité, le plaisir de l’avoir dans les mains. Après, notamment quand on est vieux, on peut grossir les caractères sur une liseuse et ça, c’est un avantage sur le papier.

 

À travers ses émissions de télévision (Apostrophes, Bouillon de culture…) et aujourd’hui en tant que président de l’académie Goncourt, Bernard Pivot fait tout pour nous donner envie de lire. Une passion qu’il a transmise à sa fille, Cécile, journaliste et auteur d’un essai sur son fils Antoine, autiste*. Le père et la fille cosignent Lire !**. Tour à tour, le lecteur professionnel et la lectrice amateur y évoquent les plaisirs de lire, les lectures d’enfance, leurs rituels, les façons de choisir, de ranger ou encore d’offrir un livre

* Comme d’habitude, publié chez Calmann-Lévy en 2017.
** Lire !, publié en mars 2018 aux éditions Flammarion.

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