« Et je choisis de vivre » : un film documentaire pour mettre des mots sur le deuil

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Par Propos recueillis par Nathania Cahen

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Avec 43 000 entrées, « Et je choisis de vivre » est un succès du box-office 2019. Plutôt surprenant pour un documentaire qui parle de la perte d’un enfant. La preuve que la disparition d’un être cher est un sujet universel, qui nous concerne tous. Et que la mort cherche à s’émanciper de tous les tabous qui l’étouffent. Damien Boyer, qui a coréalisé ce film avec Nans Thomassey, nous éclaire sur son essence et sa fabrication.

Comment avez-vous rencontré Amande, la maman en deuil est le fil rouge de cette singulière aventure ?


Damien Boyer : En 2016, Amande et Guillaume se sont retrouvés complètement déboussolés à la mort de leur petit Gaspar, qui n’avait pas encore un an. Mais, très vite, Amande a choisi de ne pas se laisser mourir et de se mettre en marche. Sans aller loin, sans rechercher des lieux mystiques comme l’Inde. Près de chez elle, à la rencontre d’autres parents désolés, à la recherche de clés pour comprendre et aller de l’avant. Avec son grand ami Nans Thomassey, l’idée d’un documentaire a pris forme. Mais le deuil d’un enfant est invendable, tous les producteurs ont refusé. Alors moi j’ai accepté.

Vous n’avez pas été affolé par le sujet ?

D.B. : Le sujet me fait peur, mais ce qui est compliqué m’intéresse. Je me suis dit qu’il fallait l’aborder par la seule promesse qui existe : la certitude de la mort. Je me suis questionné, j’ai réalisé que nous étions des autruches car je peux moi aussi partir, perdre mes enfants. Dès lors, pourquoi devoir souffrir dans le silence ?

L’autre postulat était de ne pas faire trop dans le pathos, trop larmoyant. Sans donner non plus dans le trop positif avec happy end – cela aurait été un mensonge et personne ne se serait reconnu.

Le tournage a été rapide…

D.B. : Nous sommes partis deux semaines pour une randonnée initiatique émaillée de rencontres. Mais le sujet s’est aussi nourri d’une tournée de conférences intitulées « Deuil et renaissance » au cours de laquelle nous avons recueilli de nombreux témoignages, enregistrés pour ne pas risquer d’oublier un sujet. Nous nous sommes également aidés des ouvrages du psychiatre Christophe Fauré. À partir de là, nous avons listé près de 40 thématiques, sujets essentiels ou annexes sur le deuil, notamment le deuil de parents. Le film nous a quand même pris deux ans (N.D.L.R. : il est sorti en salle en juin 2019).

Quelles thématiques vous ont marqué ?

D.B. : C’est par exemple la peur d’oublier (la voix, le visage, le rire) de celle ou celui qui a disparu. C’est continuer à citer le prénom, à parler du mort, qui fait énormément de bien alors que certains pensent qu’il vaut mieux ne plus en parler. C’est honorer les rendez-vous importants, l’anniversaire, la date de la disparition. Il y a la colère aussi, la colère très forte que l’on peut diriger contre le milieu médical, l’entourage pas assez investi, ou même le mort lui-même, cause de toute cette détresse. Ce n’est pas facile ce genre de confidence, Amande pourtant s’y prête à un moment donné.

Même sans pathos excessif, les spectateurs doivent être bouleversés, non ?

D.B. : C’est un film qui remue, oui. Mais qui donne envie de vivre, de croquer la vie. Car le sujet de la mort nous révèle la puissance de la vie. Ce cadeau qu’est la vie. À la fin d’une avant-première, une femme s’est levée pour dire qu’elle souffrait depuis des années mais que, pour la première fois, elle se sentait normale. Qu’elle avait reconnu dans le film ses émotions, les difficultés, l’incompréhension…

Des sujets sont plus délicats à aborder que d’autres ?

D.B. : Celui du suicide. Il traverse l’esprit de tous les parents brutalement privés de leur enfant. Aujourd’hui, quand je reçois des coups de fil de personnes ou de connaissances confrontées à de tels drames, la première chose que je leur demande c’est : comment ça s’est passé quand tu as eu envie de te suicider ? Pour désamorcer. Parce que c’est normal d’être traversé par des idées noires. Le processus est long mais la douceur revient après plusieurs années.

Est-ce que le deuil finit par passer ?

D.B. : Ça ne passe pas non, on le traverse, on l’accepte, on l’apprivoise. Pendant deux ans, en moyenne, les parents pensent que leur vie est fichue. Surtout, il faut oser demander de l’aide aux autres. Et s’octroyer le droit de penser à la personne perdue, en entretenant des rituels, en organisant des événements comme Amande et son lâcher de montgolfière dans le film.

Votre documentaire connaît un grand succès…

D.B. : En effet, c’est presque déjà devenu un documentaire « culte » car c’est un sujet tabou dont tout le monde veut parler… Il est en tête en nombre de votes de téléspectateurs sur AlloCiné. Et a réalisé le 2e meilleur crowdfunding du genre, juste derrière le documentaire « Demain ». Les 120 000 euros récoltés nous ont permis d’envisager un long métrage et convaincu France 5 de nous soutenir. Nous avons organisé 180 avant-premières lors de sa sortie.

Il y a eu d’autres répercussions ?

D.B. : Nous avons été reçus par le Ministère de la Santé pour plaider l’importance du sujet de la mort qui n’est assorti d’aucune ligne budgétaire, aucune directive, car considéré comme trop « transversal ». Puisque rien n’existait, nous avons décidé de créer une plateforme en ligne. Baptisée Mieux traverser le deuil, elle est alimentée par de nombreux contenus, vidéos, témoignages, liens vers des sites ressources. Et le 12 novembre prochain, nous sommes invités à débattre du sujet devant le Parlement. C’est incroyable, nous ne pensions pas aller si vite et si loin.

Comment vont Amande et son mari, aujourd’hui ?

D.B. : Très bien. Guillaume construit toujours des cabanes. Amande, toujours institutrice, s’efforce d’accompagner d’autres familles en deuil. Et Gaspar a aujourd’hui des frères et sœurs.

Rencontres à Marseille sur la mort

Les 31 octobre et 1er novembre se tiennent au parc Chanot, à Marseille, des rencontres intitulées « La mort, si on en parlait », organisées par le Groupe VYV, la MAIF et la Maison des obsèques. Des conférences (les Dr Eric Dudoit, Boris Cyrulnik et Christophe Fauré, le journaliste et réalisateur Stéphane Allix) et des tables rondes thématiques auront lieu. Une projection-débat avec le co-réalisateur Damien Boyer se déroule jeudi 31 octobre.

Par Propos recueillis par Nathania Cahen

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