Harcèlement scolaire : l’heure des solutions

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Par Émilie Gilmer

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Insultes, coups, brimades, cyber-harcèlement… En France, environ un élève sur 10 subit ce genre de violence au quotidien. Une souffrance bien réelle – et souvent taboue – qui se manifeste de plusieurs façons. On peut donc la repérer, la combattre et la prévenir. Décryptage.

Si la figure du « souffre-douleur » a longtemps habité la cour d’école sans que le mal soit nommé (et traité), les pouvoirs publics ont aujourd’hui pris conscience de la gravité du problème. Ainsi, depuis fin 2010, le harcèlement scolaire est clairement identifié et défini. « On parle de harcèlement scolaire lorsqu’il y a une conduite intentionnellement agressive d’un ou plusieurs élèves, qui dure et se répète dans le temps et qui induit une relation dominant/dominé dont la victime ne peut se sortir seule », précise la pédopsychiatre Nicole Catheline*.

Malgré quelques nuances (certains voyant surtout dans le harcèlement scolaire un phénomène de groupe face à un élève isolé), les spécialistes sont d’accord sur un point : le harcèlement peut prendre différentes formes. La violence peut être physique (coups, rackets, gestes déplacés) et/ou psychique (insultes, menaces, rumeurs, mises à l’écart, chantages). Et maintenant, avec internet, elle se poursuit en dehors de l’école.

« Le cyber-harcèlement amplifie le phénomène, et l’aggrave, notamment avec le sexting (la diffusion de photos à caractère sexuel), qui en est la forme la plus dangereuse », indique Jean-Pierre Bellon**, professeur de philosophie et conférencier.

* Auteure de Le harcèlement scolaire (Puf) et Souffrances à l’école (Albin Michel).
** Coauteur de Harcèlement scolaire : le vaincre, c’est possible (ESF) et fondateur avec Bertrand Gardette du site harcelement-entre-eleves.com

Le harcèlement scolaire en chiffres

12 % des écoliers sont concernés par le harcèlement scolaire (dont 5 % par un harcèlement sévère à très sévère). Cela peut monter à 14 % pour le seul harcèlement verbal et symbolique (par exemple, la mise à l’écart).

10 % des collégiens subissent un harcèlement (dont 6 % un harcèlement sévère à très sévère).

7 % des collégiens déclarent avoir connu des violences répétées via les nouvelles technologies, pouvant s’apparenter à du cyber-harcèlement (8 % chez les filles, contre 6 % chez les garçons).

1 collégien sur 5 déclare avoir subi au moins une atteinte via les réseaux sociaux en 2017 (usurpation d’identité, vidéos humiliantes ou diffusion de rumeurs).

Sources : Unicef et DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospection et de la performance, Éducation nationale).

Certains enfants plus touchés que d’autres ?

Selon les statistiques officielles, environ 700 000 élèves disent avoir connu le harcèlement scolaire, entre le CE2 et le lycée, avec un risque accru à la fin de l’école primaire et au début du collège. « La première conséquence est bien souvent une perte de l’estime de soi, remarque la psychothérapeute Catherine Verdier*. C’est-à-dire la valeur que l’on s’accorde à soi-même (« je vaux la peine d’être aimé », « j’ai le droit d’exister ») qui est attaquée au moment même où elle se construit… » Sans compter un désinvestissement scolaire, quasi systématique, pouvant aller jusqu’à la phobie.

Et, plus le phénomène dure et s’installe, plus les conséquences s’intensifient. « Certains enfants développent des symptômes dépressifs (idées noires, troubles du sommeil, maladies psychosomatiques…) qui, dans les cas les plus sévères, laissent des séquelles jusqu’à l’âge adulte. »

Quant à savoir s’il existe un profil type de l’élève harcelé, la réponse est non. « On observe en revanche une fragilité liée à une situation, indique Nicole Catheline. Par exemple un enfant nouvellement arrivé dans un établissement ou dont les parents divorcent. Cette fragilité créant un terrain propice au harcèlement. »

* Auteure de #j’aime les autres (Le Rocher) et vice-présidente de l’association Marion La Main Tendue, www.marionlamaintendue.com

À lire aussi : Phobie scolaire : quand l’école rend malade

Certains enfants souffrent de crises d’angoisse et d’attaques de panique à l’idée même d’aller à l’école.

Les signaux qui doivent alerter

Le défi pour les parents et les professionnels de l’éducation est donc de taille : repérer ces enfants en souffrance avant que la situation ne s’aggrave. « Tout changement brusque de comportement (physique, social, scolaire, comportemental) est un signe d’alerte, indique Catherine Verdier : un bon élève dont les notes chutent brutalement, un enfant qui s’isole ou un enfant d’un naturel plutôt serein qui est soudain pris de bouffées d’agressivité à l’encontre de son entourage. »

Reste que la honte et la culpabilité ressenties par l’élève harcelé l’empêchent souvent d’en parler, certains parvenant même à « donner le change » pour éviter d’être « démasqués ». « À l’image d’autres victimes de violences, les enfants harcelés sont tétanisés par ce qu’ils subissent et se murent dans le silence, remarque la spécialiste. Les ados, surtout, se disent que ça va passer, qu’ils vont réussir à s’en sortir seuls. Mais dans la plupart des cas, ce n’est pas ce qui arrive. »

Comment libérer la parole ?

D’où l’intérêt du travail de prévention – pour aider les victimes à comprendre qu’elles sont victimes et qu’elles doivent être aidées – à travers des opérations comme la journée « Non au harcèlement » ou des actions menées par les ambassadeurs lycéens… « Ce sont de jeunes volontaires formés qui ont pour mission de sensibiliser leurs pairs et/ou d’alerter l’institution si une situation est identifiée », indique Sylvain Disson, délégué académique à la vie lycéenne de l’académie Orléans-Tours. Cette académie a déjà formé plus d’un millier d’ambassadeurs en cinq ans. Une initiative intéressante dans la mesure où les adultes membres de la communauté éducative sont aptes à prendre le relais pour traiter efficacement le problème.

« Il faudrait créer dans chaque établissement une cellule anti-intimidation, suggère Jean-Pierre Bellon. Dans l’académie de Versailles, une centaine d’équipes de ce type a été formée à la méthode de “préoccupation partagée”*, où intimidateurs et témoins sont invités à résoudre eux-mêmes le harcèlement. » Un mouvement salutaire qui dépasse largement nos frontières et commence à porter ses fruits. Selon l’enquête internationale HBSC**, menée tous les quatre ans dans 42 pays, le harcèlement aurait diminué de 15 % au collège entre 2010 et 2014.

« Une chose est sûre, remarque Jean-Pierre Bellon, aujourd’hui, plus personne ne peut dire : désolé, on n’a pas su, on n’a pas vu. »

* Créée par le psychologue suédois Anatol Pikas, elle est utilisée avec succès en Finlande, en Australie et au Canada.
** Health Behaviour in School-aged Children.

Où trouver de l’aide ?

  • N° vert « Non au harcèlement » : 3020, ouvert du lundi au vendredi de 9 h à 20 h et le samedi de 9 h à 18 h (sauf les jours fériés).
  • Si le harcèlement a lieu sur internet : n° vert « net écoute », 0800 200 000, gratuit, anonyme, confidentiel et ouvert du lundi au vendredi de 9 h à 19 h.
  • À lire pour entamer le dialogue avec des enfants de 8 à 14 ans, les bandes dessinées : Max se fait insulter à la récré et Lili est harcelée à l’école (Calligram).

Les associations relais

TÉMOIGNAGES

« Ça a commencé par un surnom dévalorisant »

Noémya, 30 ans, est l’auteure de De la rage dans mon cartable (Hachette Romans). Elle a aussi créé l’association Gener’action Solidaire (www.generaction-solidaire.fr) pour lutter contre le harcèlement entre élèves.

« Lorsque je suis entrée en sixième, je me suis retrouvée dans un contexte inconnu, sans mes anciens camarades d’école. Au bout d’une semaine environ, deux filles ont commencé à m’attribuer un surnom dévalorisant et à se moquer de moi. Très vite, cela a pris de l’ampleur. Toute la classe leur a emboîté le pas et je me suis retrouvée complètement isolée. Au début, j’ai essayé de les ignorer en pensant que ça n’allait pas durer, puis j’ai essayé de répliquer verbalement. Mais, comme ça sonnait faux, ça n’a eu aucun impact.

Finalement, au moment où j’ai compris que je ne m’en sortirais pas toute seule, j’ai été envahie par un sentiment de honte qui a complètement bloqué ma parole. Je me suis dit que, s’ils s’en prenaient à moi, c’est que je l’avais un peu mérité. Aujourd’hui, ce que je dis aux enfants et aux jeunes que je rencontre c’est qu’il ne faut pas attendre pour parler. »

« Je suis tombée de haut »

Catherine, maman de Noémya.

 « Noémya ne m’a jamais parlé de ce qu’il se passait. Une fois seulement, j’ai été alertée par la conseillère principale d’éducation du collège pour une absence non justifiée. La CPE a également convoqué les deux harceleuses de ma fille et les a sermonnées devant moi. Ce jour-là, j’ai pensé que le problème était réglé. Aussi, lorsque j’ai appris tout ce que Noémya avait subi, deux ans et demi après la fin du harcèlement, je suis tombée de haut.

Jamais je n’aurais imaginé que ma fille traverse tout cela sans m’en parler. À la maison, elle était joyeuse, elle donnait le change. Lorsque ses résultats scolaires ont commencé à chuter au collège, j’ai pensé que c’était un manque de travail… Avec le recul, je m’en suis beaucoup voulu de ne pas avoir vu. J’ai essayé de trouver des solutions pour réparer, j’ai suggéré à Noémya d’écrire son histoire, ce qu’elle a fait. Aujourd’hui, elle donne des conférences pour témoigner, elle en a fait le combat de sa vie. »

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