« Le retour à l’école est primordial pour les enfants »

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Par Cécile Fratellini

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Faut-il remettre son enfant à l’école ? C’est la question que des millions de parents se sont posée ou se posent encore. Difficile parfois de peser le pour et le contre. La réponse avec le Pr Philippe Duverger, pédopsychiatre au CHU d’Angers.

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Pr Duverger - DR

Le 13 mai dernier, 20 présidents de sociétés savantes de pédiatrie ont cosigné une tribune sur le site du Quotidien du médecin en faveur du retour à l’école des enfants après deux mois de confinement. Ils ont rappelé que « nous savons aujourd’hui qu’un enfant infecté par le Covid-19 développe très rarement des symptômes sévères. En France, les cas pédiatriques (0-14 ans) représentent 1 % de l’ensemble des cas symptomatiques hospitalisés ». Philippe Duverger, pédopsychiatre au CHU d’Angers partage leur avis et nous explique en quoi le retour à l’école est essentiel pour les enfants.

Retrouver une vie normale et une vie sociale

Le retour à l’école est polémique. Plusieurs présidents de sociétés savantes de pédiatrie disent que les craintes sont excessives. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Duverger : Je confirme que le retour à l’école est primordial. Il faut le faire dans de bonnes conditions, sereines, en se rappelant que la santé des enfants ne doit pas relever que du seul point de vue physique, biologique et organique. Le côté psychologique et l’éveil sont tout aussi importants. Et donc il est fondamental que les enfants puissent retrouver leurs copains, copines, leurs enseignants… Qu’ils retrouvent une vie normale et une vie sociale rassurante. Le retour à la réalité de la vie scolaire est presque vital pour certains, stoppant le huis-clos familial parfois étouffant. De plus, l’école est un facteur d’égalité sociale. C’est enfin un lieu d’épanouissement.

Et d’autres trouvent que les conditions « trop strictes » peuvent traumatiser les enfants. Qu’en est-il vraiment ?

Ph.D. : Les angoisses des adultes ne doivent pas déteindre sur les enfants. Le retour à l’école doit se faire dans de bonnes conditions sans mettre les enfants dans un contexte d’angoisse. Pour les tout-petits par exemple, les mesures de distanciation physique sont excessives voire impossibles à respecter strictement. De plus, elles peuvent être préjudiciables car elles risquent de créer des situations de stress et d’incompréhension. Ce n’est pas raisonnable. Oui, il faut des mesures barrières mais elles ne doivent pas être délétères et iatrogènes.

Rappelons que les enfants ont des capacités d’adaptation insoupçonnées. En consultation, j’ai vu un enfant qui m’a dit « Docteur, le masque c’est génial car je peux tirer la langue et faire des « grimasques » sans que la maîtresse me voie ».

"Les enfants sensibles aux réactions des parents"

Comment rassurer les parents inquiets ?

Ph.D. : Il faut apaiser et rappeler que l'idée de l’école ce n’est pas de mettre les enfants en danger mais bien en situation d’apprentissage. Je suis optimiste et pense que progressivement, les parents vont se rassurer, retrouver confiance et accompagner leurs enfants à l’école.

Les mesures de protection doivent être vivables et nous ne devons pas nous retrouver en situation d’angoisse et de panique. Evitons de ne penser qu’aux dangers, aux risques de contamination et à la mort. Et continuons à vivre en préservant des interactions de qualité entre les enfants et les adultes (parents, enseignants...). Car les enfants sont sensibles aux réactions des parents donc si les parents sont angoissés, les enfants vont l’être.

Il est bon aussi de rappeler que les enfants des personnels soignants sont à l’école depuis plus de deux mois et que tout se passe bien.

On parle beaucoup du décrochage scolaire, mais le retour à la vie collective n’est-il pas aussi important pour l’enfant ?

Ph.D. : C’est même crucial. On ne peut pas vivre les uns sans les autres. C’est important de retrouver des figures rassurantes et des liens de confiance. Plus on est petit, plus on a besoin de ça. Pour les enfants fragiles et vulnérables, je m’inquiète pour le décrochage scolaire mais aussi pour leur relation au monde extérieur. On ne peut pas vivre dans un monde virtuel où les cours ne se feraient que par internet, et où on ne verrait plus son petit copain que par écran interposé. Il faut se toucher, se regarder, éprouver la présence de l’autre. Nous grandissons aussi avec notre corps. Et cet autre ne doit pas constituer un danger dont il faudrait se méfier.

Faire confiance aux enfants

Voyez-vous des enfants angoissés en consultation ?

Ph.D. : Certains enfants sont inquiets. Ce contexte épidémique particulier peut créer des angoisses vis-à-vis des relations extérieures, du stress voire même des obsessions (de la propreté…). L’enfant peut aussi se retrouver en position difficile, ayant envie de retourner à l’école mais percevant que ses parents, angoissés, ne le souhaitent pas. Il est alors partagé entre l’envie de partir et l'envie de rester. C’est angoissant. Rappelons qu’on grandit aussi en s’éloignant et en se séparant de ses parents. Ainsi, progressivement, à l’école, les enfants doivent retrouver leur vie à eux, leurs amitiés propres, leur autonomie tout en étant sérieux et raisonnables. Faisons leur confiance.

Pendant le confinement, nous avons traité des urgences liées aux situations de confinement et notamment de violences dans les familles. C’est une raison de plus pour réintroduire du tiers et l’école est le meilleur tiers, car un lieu pour s’épanouir. Rester à la maison dans ces contextes de tensions voire de violence, ne permet pas de bien grandir. Les enfants doivent retrouver leur place à l’école dans des conditions sereines, pour s’éveiller et s’ouvrir au monde.

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