Marcel Rufo : « je suis un optimiste »

Publié le

Par Nathania Cahen

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© Ulf Andernsen / Aurimages

Marcel Rufo est pédopsychiatre. Il a, entre autres, dirigé le service psychiatrique de l’enfant et de l’adolescent de la Timone à Marseille et la maison de Solenn de l’hôpital Cochin à Paris*.

Quelle est votre définition de l’optimisme ?

Marcel Rufo : L’optimisme, c’est la réserve d’espérance, le contraire de la nostalgie, en quelque sorte. Quand on ne va pas bien, c’est penser qu’on ira mieux plus tard. Alors que le pessimiste, lui est dans le présent. Ou, pire, dans le passé. L’optimisme, c’est être dans les projets. J’ai un ami de 78 ans qui a décidé de vendre sa maison pour s’acheter un bateau et remonter le canal du Midi. Il s’agit aussi de trouver une relativité à nos ennuis.

 

Est-ce inné ou acquis ?

Marcel Rufo : Je crois moi que cela se construit. Une maison qui se construit toute la vie. Une maison de soi, de son psychisme. Et cette construction, il faut l’entretenir, en renforcer parfois les fondations, en bétonner les bases.

 

Vous êtes vous-même optimiste ?

Marcel Rufo : Je suis un psy qui n’est pas triste, ce qui est déjà pas mal ! Car dans ce métier on peut être attaqué, atteint par les malheurs vécus et rapportés par nos patients. Mais je suis un optimiste. J’ai construit cet optimiste. J’ai la grande chance d’être d’une famille d’origine modeste, des migrants qui ont quitté l’Italie pour que leurs enfants aient une vie meilleure. Comme je travaillais bien à l’école, j’étais toujours gâté au moment des étrennes, j’étais l’enfant rédempteur, je représentais l’espérance, le pari sur l’avenir. Dans mon milieu, une carrière universitaire n’était pas vraiment envisageable. Pourtant, j’ai démontré que c’était possible. Je dis souvent que j’ai eu de la chance. Or, la chance on la construit, on la provoque. Les enfants, les adolescents que je reçois en consultation avec leurs histoires de vie participent aussi de cet optimisme.

 

Quelles sont vos prescriptions pour devenir optimiste ?

Marcel Rufo : J’ai reçu récemment un petit garçon et sa mère, dépassée. Il était malheureux et agressif parce qu’il venait de perdre le grand-père qu’il adorait. Je lui ai suggéré de faire un cahier de toutes les belles choses vécues avec son grand-père. Il est reparti soulagé, l’avenir s’était éclairé.

 

Que penser des « ayatollahs » de l’optimisme ?

Marcel Rufo : Il faut se méfier des démagogues… Toute publication qui prétend donner la recette du bonheur me rend suspicieux. De même que les escrocs qui proclament que tout se joue avant six ans ! Les difficultés font partie de la vie, elles sont même utiles pour créer de l’optimisme.

 

La joie participe de cet état d’esprit ?

Marcel Rufo : Fugace, temporaire, spontanée, elle est l’éclat quand l’optimisme est dans la construction, et donc le temps. Elle en est l’aurore en quelque sorte !

 

Considérez-vous qu’optimisme et bonne santé soient liés ?

Marcel Rufo : Je déteste qu’on dise à une personne malade d’un cancer « ça irait mieux si tu avais le moral ». Il faut différencier le corps et l’esprit. Je ne crois pas à ce lien et je pense qu’un tel discours relève souvent de la crainte ou de la défense.

 

Comment trouvez-vous l’adolescent d’aujourd’hui ? Optimiste ?

Marcel Rufo : Globalement, il est plutôt rigolo, dans le vécu, heureux. Les jeunes clivent beaucoup plus que nous vie privée et travail. C’est une génération plaisir, dans l’immédiateté. Qui n’hésite pas à afficher sa réussite ou son bonheur sur les réseaux sociaux. Ils friment sur la toile comme on frimait au bistrot du coin. Leurs moyens de communication ne me gênent pas, et je suis fan des SMS qui ont relancé les messages d’amour !

 

Qu’est-ce qui pourrait vous rendre pessimiste ?

Marcel Rufo : Un malheur qui s’abattrait sur ceux qui représentent l’après moi, quand on prétend par exemple que la pédopsychiatrie est en péril. Et, de manière plus intime, un souci pour les gens que j’aime. Mon élan vital en serait affecté.

Ce qui me rendrait pessimiste c’est de devoir arrêter, car mon métier est l’équivalent de cariatides, il me protège. Pour être heureux, il faut aimer travailler disait Freud !

Bachar el Assad me rend pessimiste. Mais je me suis rendu au Liban où j’ai côtoyé des enfants d’Alep qui avaient été pris en charge par une ONG géniale et un pédiatre. Et malgré les horreurs vécues, tous étaient très optimistes, parlaient du métier qu’ils aimeraient exercer plus tard. Ils m’ont ébloui.

* Marcel Rufo est aussi l’auteur de nombreux ouvrages dont Le dictionnaire amoureux de l’enfance et de l’adolescence, publié en 2017 (Éditions Plon).

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