Mon enfant a un ami imaginaire : c’est grave docteur ?

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Par Catherine Chausseray (ANPM-FRANCE MUTUALITÉ)

Temps de lecture estimé 4 minute(s)

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Entre 2 et 5 ans, beaucoup d’enfants s’inventent un, voire plusieurs, compagnons imaginaires. Invisibles, ils prennent cependant beaucoup de place. Doit-on s’inquiéter de cette présence fictive mais ô combien encombrante ? Est-ce un signe d’instabilité ou de problèmes psychologiques chez l’enfant ?

Depuis quelque temps, Ninon, 4 ans, parle beaucoup avec Bernardo. Il est omniprésent. Il l’accompagne dans son bain, à table… Elle entame de grandes discussions avec lui au moment d’aller au lit. Ses parents jouent le jeu, lui attachent sa ceinture dans la voiture, lui mettent son assiette à table, mais finissent par le trouver parfois un peu trop envahissant. D’autant que Bernardo est invisible et qu’il n’existe que dans la tête de leur petite fille. Il est à la fois son confident et son meilleur ami.

L’imagination des enfants est fertile, et leur rapport avec la réalité est parfois déroutant pour les adultes. La plupart ont des doudous qui représentent pour eux bien plus que de simples peluches mais tous les enfants n’ont pas forcément un ami imaginaire. Quand le doudou est considéré par les psychologues comme un objet transitionnel qui rattache l’enfant à sa mère, l’ami imaginaire, lui, représente un phénomène un peu plus complexe.

Animal, enfant ou objet, il peut prendre en effet différentes formes dans l’univers onirique de l’enfant. Ce dernier peut même se créer plusieurs compagnons fictifs, qui ont chacun leur propre personnalité. On a remarqué, notamment, qu’ils apparaissaient souvent dans des périodes d’instabilité, affective ou matérielle, à l’occasion d’un déménagement, d’une séparation, par exemple, voire au moment de l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur au sein de la famille.

Un ami qui réconforte…

C’est un phénomène relativement courant et, de l’avis des psychologues, les parents n’ont généralement pas de raison de s’inquiéter. Anne Vachez-Gatecel, psychologue clinicienne et auteur de l’ouvrage L’enfant et l’imaginaire, expliquait en 2016, lors de l’émission télévisée Les Maternelles, que l’ami imaginaire était une sorte de relais au doudou, à savoir un moyen de se rassurer.

« Tous les enfants n’en ont pas besoin. En tout cas, c’est quelque chose qui les aide à passer des moments de solitude. Je conseille au pédiatre de jouer le jeu parce que cela va permettre de faire supporter à l’enfant la piqûre qui va peut-être l’angoisser. Si ça se passe bien pour l’ami imaginaire, ça se passera bien pour lui », soulignait-elle, avant d’ajouter que : « Cet ami imaginaire, c’est aussi une création qui traduit cette capacité qu’a l’enfant de trouver par lui-même une solution à la difficulté qui se présente à lui. » Il est donc une sorte d’alter ego qui porte pour lui certains sentiments, certaines demandes ou certains plaisirs.

… et qui aide à grandir

Il lui permet en outre de mieux accepter le fait de grandir, c’est-à-dire de comprendre qu’il a des limites et qu’il doit renoncer à certaines choses. Vers l’âge de 3 ans, le petit doit en effet quitter la position de toute puissance dans laquelle il a imaginé pouvoir rester toute sa vie. L’entrée à l’école, aussi, peut être un moment délicat à passer, et l’ami imaginaire peut lui faciliter ce passage. Il l’aide à aller vers le monde, à se séparer de sa mère.

Il sert également à incarner les peurs que peut avoir l’enfant. En racontant, par exemple que les parents de Bernardo l’enferment dans un placard lorsqu’il fait des bêtises, Ninon fait passer un message à ses parents. Elle les teste pour voir s’ils approuvent ou non ces punitions.

Jouer le jeu, mais pas trop

Il est parfois difficile pour les adultes de savoir quelle est la bonne attitude à adopter. Emmanuelle Rigon, psychologue clinicienne et auteur du livre Les enfants hypersensibles, recommandait, sur le plateau de France 3 en avril 2018, de « ne pas casser la construction imaginaire de l’enfant, mais de ne pas non plus faire de la surenchère. Il faut quand même cultiver l’ambiguïté, poursuivait-elle. Il est important que l’enfant comprenne que vous savez qu’il sait que ce n’est pas une vraie personne. En restant dans le second degré, on lui permet de rester sur le mode de l’imaginaire, mais les parents ne sont pas obligés pour autant de rentrer totalement dans son jeu ».

Une opinion partagée par Anne Vachez-Gatecel, qui conseille elle aussi de jouer le jeu, tout en précisant que : « Ce n’est pas à l’adulte d’anticiper. On rentre dans le jeu parce que c’est l’enfant qui l’amène et qui en a besoin, mais en même temps il ne faut pas mettre systématiquement une assiette pour l’ami imaginaire si l’enfant ne l’a pas demandé. »

Il n’y a donc pas de raison de s’inquiéter, même quand cet ami fictif prend beaucoup de place. En revanche, on peut en parler à son pédiatre « lorsque l’on sent que l’enfant s’enferme dans cette histoire et qu’il n’a plus de relations avec les autres. Quand l’ami imaginaire l’empêche d’être dans l’altérité, dans le jeu », indique Anne Vachez-Gatecel, avant de conclure : « Sinon, c’est une richesse pour l’enfant de créer quelque chose. On sent très bien qu’il va pouvoir, dans toute situation, même en étant adulte, avoir la capacité, de lui-même, de trouver une solution pour être moins seul, pour être moins dans l’anxiété. »

Par Catherine Chausseray (ANPM-FRANCE MUTUALITÉ)

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