Précarité menstruelle : elles témoignent des difficultés à acheter des protections hygiéniques

Publié le

Par Patricia Guipponi

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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La précarité menstruelle touche près de 2 millions de personnes en France. Il leur est impossible d’accéder aux protections périodiques par manque de moyens. Avec toutes les conséquences que cela suppose : mauvaise hygiène, perte de confiance en soi, répercussions sociales…

Tout porterait à croire que le problème de la précarité menstruelle ne concerne pas la France, 7e puissance économique mondiale selon le Fonds monétaire international. Les rayons des magasins et des pharmacies proposent pléthore de marques et de choix de protections périodiques. Pourtant, près de 2 millions de personnes ne peuvent s’acheter de serviettes ou autres tampons hygiéniques. Difficile d’établir la somme exacte à débourser tous les mois. Cela dépend des règles, de leur durée, de leur abondance, du rapprochement des cycles. Plusieurs associations estiment que se protéger coûte entre 10 et 15 € par mois.
Les populations les plus touchées par cette précarité menstruelle sont les sans domicile fixe, les personnes qui disposent de petits revenus, celles sans emploi, les étudiantes... Selon une enquête de 2021, initiée par plusieurs associations (la Fédération des associations générales étudiantes, l’Association nationale des étudiants sages-femmes et l’Association fédérative des étudiants picto-charentais), 33 % de la population étudiante déclarent avoir besoin d’une aide pour se procurer des protections périodiques. 13 % ont dû, plusieurs fois, faire le choix entre un sachet de serviettes intimes et un paquet de pâtes.

La précarité menstruelle s’est aggravée avec le Covid

Cette situation s’est aggravée avec la crise sanitaire et économique liée au Covid-19. Et c’est encore plus préoccupant quand on doit faire face à un quotidien compliqué, comme Cécile, 48 ans, qui a perdu son mari et son travail. Pas question pour elle de demander de l’aide à ses deux fils « pour des questions de femme ! ». Elle avoue avoir honte. « Je ne me sens déjà pas à l’aise de prendre les protections intimes mises à disposition par le Centre communal d’action sociale (CCAS) de ma ville surtout quand il y a des messieurs dans la pièce ».
Quand elle le peut, Cécile dépense en moyenne 10 € par mois de serviettes hygiéniques. Ses règles sont abondantes du fait du dérèglement hormonal consécutif à sa périménopause. « Cette somme pourrait me servir à acheter de la viande ou du poisson ». Pour économiser sur les protections intimes, Cécile enroule ses serviettes usagées de papier toilette ou utilise du coton bon marché. « Il m’est arrivé de me servir, sans rien dire, dans la salle de bain de ma belle-fille, ce dont je ne suis pas fière ».
Un temps, la quadragénaire allait au planning familial où on lui donnait le nécessaire pour son hygiène intime. « J’arrive toujours à me débrouiller entre mes fabrications et les dons d’associations sur lesquelles on peut heureusement compter ». La quadragénaire n’a qu’une hâte, celle d’être ménopausée « pour que les règles s’arrêtent et avec elles les tracas et les dépenses ».

Les associations sur le front des règles pour apporter des solutions

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Les boîtes de Solibox sont alimentées par la générosité des passants. D.R.

boîtes de Solibox

Des personnes dans la situation de Cécile, Solibox en aide au quotidien. Fondée par deux étudiants en IUT, l’association héraultaise a lancé le concept de boîtes en libre-service. On peut trouver les prototypes dans les établissements scolaires, les universités mais aussi dans des concept-stores du centre de Montpellier. « Il y a des boîtes posées à l’intérieur. D’autres à l’extérieur. Mais elles n’étaient plus accessibles durant la période des confinements. Notre mission actuelle est de les remettre en route là où elles font défaut », explique Tori Philippe, présidente de Solibox.
Les boîtes sont alimentées par la générosité des passant(e)s. Elles peuvent contenir une cinquantaine de protections périodiques. Les personnes qui ne peuvent s’en procurer ailleurs puisent dedans. « Au départ, nous nous sommes mobilisés pour une femme SDF qui nous avait raconté son quotidien et exposé ses difficultés lors des règles ». L’association s’est pérennisée devant les besoins criants. « Nous aidons ainsi les personnes dans la rue mais aussi celles qui sont sans ressources ou qui ont des revenus modestes ».

Tori Philippe regrette que les règles soient un sujet si tabou.

« Cela freine tout. Ça empêche celles qui sont démunies d’en faire part, à la société et aux pouvoirs publics de s’engager pour prendre à bras-le-corps ce problème, aux regards de changer ». Elle milite pour l’enseignement des règles dans les programmes scolaires. « Il faudrait en parler en des termes clairs aux collégiens en 4e quand ils étudient la reproduction. C’est naturel, c’est la vie ».

Travail de sensibilisation pour lever le tabou des règles

Cette conviction est partagée par Maé, membre de la Fédération précarité menstruelle à Clermont-Ferrand, portée par trois associations étudiantes. « Nous travaillons beaucoup sur la sensibilisation, pour lever ce tabou. Les règles devraient être un sujet à aborder concrètement comme tous les autres ».
Un questionnaire lancé à l’échelle des universités d’Auvergne, il y a trois ans, a confirmé le fait que la moitié des étudiantes était en précarité menstruelle. « La femme est confrontée, en général, à plus de difficultés économiques et sociales que l’homme. C’est le cas en milieu universitaire », souligne Maé.

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Eva Serhan et Cloé Dehours, co-présidentes de l’association Règle On Ça, se sont battues pour l’installation de distributeurs de protections hygiéniques. D.R.

Eva et Chloé se battent pour l'installation de distributeurs de protections hygiéniques.

À Angers, l’association Règle On Ça intervient aussi auprès de la population étudiante. Ses deux co-présidentes Eva Serhan et Cloé Dehours se sont démenées pour que soient installés des distributeurs de protections hygiéniques. 6 000 personnes sur les 26 600 étudiants inscrits à l’université d’Angers se trouvent en situation de précarité menstruelle. « Beaucoup fabriquent leur propre protection, utilisent du papier toilette en guise de tampon ou de serviette. On sait que les risques de syndromes infectieux sont grands, ainsi que les désagréments comme les odeurs, les frictions, etc. ».

Fonds débloqués par l’Etat pour distribuer des protections intimes

Devant l’ampleur du problème et le signal d’alarme des associations militantes, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, s’est engagé à faire bouger les choses. En 2021, le ministère de la Santé et des Solidarité et celui de l’Egalité des chances entre les femmes et les hommes ont consacré 5 millions d’euros afin de multiplier les expérimentations en direction notamment des maraudes et des épiceries solidaires qui œuvrent auprès des plus précaires.
Olivier Véran, ministre de la Santé à l’époque, a annoncé la gratuité des protections périodiques jetables pour les étudiantes. Depuis la rentrée 2021, des distributeurs sont progressivement installés dans les Crous, les restaurants, les résidences universitaires… Certains collèges et lycées, établissements gérés respectivement par les départements et les régions, s’équipent aussi petit à petit.
Reste la question de la gratuité des protections périodiques de qualité pour toutes les personnes en France, souhait affiché par la majorité des associations féministes. L’Écosse est depuis peu le premier, et le seul pays, à prendre en charge la totalité des dépenses liées aux règles, quels que soient les revenus des personnes concernées.

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