Raphaël Enthoven : « l’amour du présent récuse le pari sur l’avenir »

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Par Aurèle Cariès

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© Hannah Assouline (Éditions de l'Observatoire)

Agrégé de philosophie, issu de l’École Normale Supérieure, Raphaël Enthoven est auteur de nombreux ouvrages philosophiques* et actuellement chroniqueur sur Europe 1.

Existe-t-il une philosophie de l’optimisme et comment l’interprétez-vous ?

Raphaël Enthoven : Si l’optimisme consiste à parier béatement sur la bienveillance des événements qui ne dépendent pas de soi, alors il n’existe aucune philosophie de l’optimisme (contrairement à une philosophie du courage ou de l’obstination).

Mais si l’optimisme est de s’attacher à regarder toute chose sous l’angle le plus favorable, alors une « philosophie de l’optimisme » est pensable et tient dans l’anecdote suivante : deux jumeaux (l’un, optimiste, l’autre non) reçoivent pour leur anniversaire un cadeau chacun : le pessimiste reçoit une bicyclette, l’optimiste reçoit du crottin de cheval. Le premier se désole en songeant à la mobylette qu’il n’aura pas. Le second se réjouit à l’idée du cheval qu’il possède (mais dont il ignore où il se trouve)…

 

Sommes-nous optimistes par nature ? L'optimisme est-il un instinct de survie ? Une médecine de l'âme ?

Raphaël Enthoven : Comment serions-nous optimistes par nature ? Nous naissons par hasard dans un monde qui s’en moque, avant d’y mourir sans avoir compris pour quelle raison nous sommes passés par là… L’optimisme n’est pas un instinct de survie, mais un instinct de déni. Déni de la mort, surtout. Et des chagrins qui la précèdent.

 

Selon vous, l'optimisme se cultive-t-il, se travaille-t-il ?

Raphaël Enthoven : L’optimisme se déconstruit. Qui se débarrasse du goût de croire que le monde, inévitablement, finira par tourner en sa faveur, gagne en liberté ce qu’il perd en certitude. L’enjeu est de devenir ce qu’Albert Camus désigne comme ces « âmes claires qui pensent clair et n’espèrent plus ». Ce qui se cultive, en revanche, et se travaille, c’est le refus de baisser les bras devant l’injustice ou la souffrance. Est-ce de l’optimisme, ça ? Peut-être. En tout cas, l’erreur est de croire que l’optimisme est indispensable au combat. Pour nous battre, nous n’avons besoin que de souffrir des douleurs qui nous sont épargnées, et non de rêver qu’un jour toute injustice aura disparu de la surface du globe.

 

Avez-vous un auteur à recommander pour comprendre les ressorts de l’optimisme ?

Raphaël Enthoven : Clément Rosset. C’est le pire ennemi de l’optimisme, et donc le meilleur ami de la joie. C’est lui qui permet de comprendre ce paradoxe essentiel : la joie (c’est-à-dire la joie de vivre) récuse l’optimisme, comme l’amour du présent récuse le pari sur l’avenir. Une vie construite sur l’optimisme expose à d’immenses déceptions. Alors qu’une existence sans espoir ménage la possibilité d’être constamment surpris par tout ce qui nous entoure. L’optimisme est triste, en son principe. Être optimiste, c’est confesser (à mots couverts) que, sans optimisme, nous serions désespérés. Or, si c’est la crainte du désespoir qui commande l’optimisme, ça veut dire que le désespoir a gagné, et que notre « optimisme » n’en est pas le remède, mais le symptôme.

 

Êtes-vous de caractère optimiste ?

Raphaël Enthoven : Dieu m’en garde ! J’aime trop la vie pour être un optimiste. Disons que l’optimisme me revient chaque fois que mon bonheur dépend de quelqu’un d’autre que moi… Comme une faiblesse dont on ne se corrige jamais vraiment.

 

Avez-vous des raisons de croire en l'avenir ?

Raphaël Enthoven : Aucune. Nous allons mourir. Tous et chacun. Et c’est tout ce que l’avenir promet. « Croire en l’avenir », c’est accepter ce fait. En revanche, je puise dans ce néant de raisons l’énergie de me battre sans répit contre tout ce qui m’indigne.

* Dernier ouvrage « Morales provisoires », Éditions de L’observatoire.

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