Thierry Marx, grand chef de la transmission

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Par Propos recueillis par Cécile Fratellini

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© Photo principale : Frank Marshall

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Thierry Marx ne cesse de transmettre : dans ses restaurants, au sein de ses formations « Cuisine, mode d’emploi(s) »… Et maintenant aux enfants grâce à un livre ludique sur l’alimentation. Rencontre.

Pourquoi avez-vous décidé de sortir un livre sur l’alimentation pour les enfants ?

Thierry Marx : Je pense que l’on peut faire passer des messages dès le plus jeune âge et notamment en initiant les enfants à la cuisine. Dès lors que vous leur imposez quelque chose qu’ils ne connaissent pas, ils ont une méfiance encore plus grande que celle des adultes. Alors que si vous les initiez à l’ingrédient, en leur disant d’où il vient, comment le transformer, ils se l’approprient plus facilement. Et cela permet de construire une ligne de conduite alimentaire qui peut les aider dans le futur.

L’alimentation expliquée aux petits… et aux grands

Pourquoi dit-on que notre intestin est notre deuxième cerveau ? Pourquoi c’est mieux d’acheter les fruits au marché ? Pourquoi les enfants d’aujourd’hui ont-ils plus d’allergies ? Toutes ces questions (et leurs réponses !) petits et grands les retrouvent en première partie du livre de Thierry Marx Leur alimentation expliquée aux enfants*. En deuxième partie, tous les aliments sont expliqués de manière très simple et imagée. Des recettes faciles à faire (crème brûlée de potiron, tarte à la crème…) sont également proposées par le chef étoilé.

*Leur alimentation expliquée aux enfants (et aux parents) par Thierry Marx dans la collection Quand ça va, quand ça va pas aux éditions Glénat Jeunesse

L’alimentation expliquée aux petits… et aux grands

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Thierry Marx, chef exécutif du Mandarin Oriental à Paris et fondateur de « Cuisine mode d’emploi(s) ». © Roberto Frankenberg

T.M. : Je souhaite qu’on devienne tous acteurs de notre alimentation parce qu’il y a un impact social et environnemental important. Et pour le devenir, il faut revenir à la base : faire la cuisine. Même modestement, simplement. On peut très bien faire mieux avec moins. Quand vous prenez le produit transformé industriellement, vous le payez souvent très cher. On ne devrait jamais se démarier de cette vieille phrase de l’Antiquité grecque qui disait : « La cuisine, c’est plaisir, bien-être et santé ». En reprenant la casserole, en étant acteur du bon achat et en faisant la cuisine une fois par jour ou par semaine, on se réapproprie un certain nombre de codes qui nous permettent de consommer un peu mieux.

Et puis la cuisine crée du lien social. Même à la maison. Quand vous ferez une pâte à crêpes, vos enfants sauront d’où vient la farine, pourquoi on y met du beurre ou pas, du sucre ou pas. Ça procurera du lien, du plaisir et du bien-être. Et se réinitier à la cuisine permet de lutter contre la malbouffe en faisant « pour apprendre » et non pas en essayant de se dire « je vais d’abord apprendre et après je ferai ». Il faut s’initier tout de suite. De plus en plus de gens se remettent à la cuisine. Ils peuvent ainsi faire des choix et être acteurs de leur alimentation. Le courant n’est pas en train de se tarir mais le fleuve est bien en train de s’agrandir.

Vous venez d’inaugurer votre huitième école Cuisine mode d’emploi(s) à Toulouse. La transmission est une valeur importante pour vous ?

T.M. : Dans les métiers de la gastronomie, on parle souvent de tradition mais la tradition n’est rien sans la transmission. Sinon, ce serait un tiroir vide. La transmission, c’est essentiel. Je suis ravi que l’école soit implantée dans le MIN (marché d’intérêt national) alimentaire de Toulouse. C’est idéal. Il y a le produit à la source, le producteur, le mandataire qui est le lien entre le producteur et le cuisinier. Ainsi, les candidats de cette école voient toute la chaîne de valeurs. Et ils ont des produits ultrafrais à transformer. Ce circuit extrêmement court nous permet d’expliquer et de donner de la valeur ajoutée au produit. C’est pédagogiquement extraordinaire.

Cette formation est gratuite pour les jeunes sans diplôme. Après 11 semaines de formation, 92 % des stagiaires trouvent un emploi, comment l’expliquez-vous ?

T.M. : Dans ce mode de transmission, on aide des personnes éloignées de l’emploi, voire très éloignées, à repartir sur un projet de métier qu’ils ont choisi. Ils ne se retrouveront pas avec un emploi par défaut mais avec un projet qui les ramène à l’emploi. C’est un moteur de réussite important. Bien souvent, les personnes se croyaient assignées à l’échec. Le choix d’une formation leur a permis de s’émanciper et de prendre leur destin en main. En 10 ans, il y a eu 70 créations d’entreprise. Quand il y a un projet, il y a une voie d’épanouissement pour le candidat. Il faut que dans cette société, on retrouve cette notion du projet.

Nous mettons nos élèves tout de suite en situation opérationnelle et nous allons à l’essentiel. Donc ils arrivent dans le monde du travail au rythme du monde de l’entreprise et non pas au rythme de l’école. On leur donne des bases et des clés pour s’adapter. Car notre métier est ambigu. Un exemple : à l’école on peut leur donner la recette de la blanquette d’Escoffier et leur dire « c’est ça, la vraie blanquette ». Quand ils arriveront dans leur restaurant, le chef pourra bien leur dire : « Moi la blanquette, je ne la fais pas comme ça » et ils s’adapteront. Ils vont monter en compétence au fil du temps. Et ils trouveront leur style, la mission de la cuisine française étant souvent de faire des « chefs auteurs ».

Vous lancez régulièrement de nouveaux projets, quel est le prochain ?

T.M. : Grâce à ces écoles, on a tracé les cadres éducationnels qui peuvent rendre les gens heureux et les repositionner dans un projet. Aujourd’hui, je voudrais les voir grandir à l’international. Ce modèle pédagogique est valable partout.

Et puis on a un traiteur social qui marche très bien, traiteur Té. On a le Pavillon Elysée, c’est la première entreprise européenne dans l’économie sociale et dans l’univers du luxe. Cela veut dire qu’il y a une autre façon de faire de l’argent et de le redistribuer. Et que l’économie sociale n’est pas une économie de la médiocrité. Bien au contraire. On peut aller sur tous les marchés.

Depuis 2002, vous intervenez régulièrement en milieu carcéral. L’an dernier, la formation Cuisine mode d’emploi(s) a été proposée à Fleury Mérogis.

T.M. : J’ai commencé mes interventions en milieu carcéral à Saint-Martin-de-Ré. Et puis nous sommes allés à Fleury, à Poissy… On travaille en amont, dans la préparation du projet professionnel pour la sortie de prison. Mais nous trouvions qu’il manquait un maillon à la chaîne et qu’il fallait un établissement de pré-préparation au retour à la vie active. C’est pour cela que dans certaines de nos écoles, nous sommes habilités à intégrer de façon efficace et discrète des personnes qui ont besoin de retrouver un rythme qui correspond à la société réelle. Car en détention, les codes sont différents. La réinsertion d’un détenu se passe en fonction de ce qui l’attend à la sortie. La solution de la formation professionnelle est efficace car c’est un choix, un projet de vie. On travaille également pour des publics très jeunes dans le cadre de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse).

Pour lutter contre le stress, vous proposez aux équipes de vos restaurants le taï-chi ou la méditation. Vous le conseilleriez aux entreprises ?

T.M. : Le taï-chi, le yoga ou la médiation permettent de mettre du temps entre les émotions et les actions. Aujourd’hui, on cumule en quelques secondes trois sms et quinze mails, et cela finit par vous polluer. Au bout d’un moment il faut décrocher : 20 minutes ou 45 minutes, peu importe. Sinon on est happé par cette ultra consommation et information. Au début, quand on propose ce genre d’activités, on passe toujours pour un loufoque. Après les gens disent c’est pas mal, ne comprennent pas si vous la retirez. Donc on la remet et ça fonctionne. Je conseillerai particulièrement la méditation parce que c’est quelque chose qui vous apprend à vous recentrer et à savoir qui vous êtes vraiment avec beaucoup de bienveillance. C’est intéressant pour que la personne aille bien et ne se recroqueville pas. C’est important dans le monde de l’entreprise.

Par Propos recueillis par Cécile Fratellini

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