Violences conjugales : le téléfilm « Elle m’a sauvée » inspiré d’histoires vraies

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Par Solal Duchêne

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Clement MANUEL Juliette ROUDET © Jean-Michel Clajot/M6

Diffusé sur M6, le téléfilm « Elle m’a sauvée » est basé sur les histoires de Julie Douib et Laura Rapp, deux femmes victimes de violences conjugales entre 2011 et 2019. L’occasion de rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire pour combattre les violences conjugales.

113 féminicides ont eu lieu en France en 2021*. Julie Douib, elle, a été tuée par son ex-compagnon en mars 2019. Un an plus tôt, en avril 2018, Laura Rapp échappait à une tentative d’assassinat de son conjoint, sous les yeux de leur fille de deux ans. « Elle m’a sauvée », téléfilm réalisé par Ionut Teianu et diffusé sur M6 le 29 mars, raconte ces deux drames. Deux récits réunis à l’écran pour livrer une seule et même histoire : celle des femmes victimes de violences conjugales et leurs difficultés à être entendues et protégées.

A l’occasion de la présentation du téléfilm à la presse, Laura Rapp, son avocate maître Nathalie Tomasini ainsi que Lucien Douib, le père de Julie, ont expliqué les raisons qui les ont poussés à participer au projet. Ils étaient accompagnés de la comédienne Juliette Roudet, qui interprète Laura Rapp à l’écran. Ensemble, ils ont aussi parlé de la situation des violences conjugales en France, soulignant que la lutte contre celles-ci était insuffisante à leurs yeux.

« Elle m’a sauvée » montre la réalité des violences conjugales

Juliette Roudet reste très marquée par le tournage des scènes d’agression. « Lorsque le cascadeur a mis ses mains sur ma gorge, quelque chose a parcouru mon corps, se souvient la comédienne. J’ai été rattrapée par la violence et j’ai pris conscience de ce qu’avait traversé Laura. Un véritable choc. »

Bien que travaillant quotidiennement sur ces affaires, Nathalie Tomasini reconnaît avoir eu du mal à visionner certaines scènes du téléfilm. « Quand on le raconte sur un procès-verbal, ça n’a pas le même impact. L’image de ce qu’ont vécu Julie et Laura est terrible », témoigne-t-elle. Cette plongée dans le réalisme est nécessaire selon l’avocate. Spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences et de harcèlement, elle espère que montrer la réalité permettra de mobiliser l’opinion publique. « Une fiction qui rentre dans les appartements par le petit écran peut avoir plus de force qu’un Grenelle** », veut croire Nathalie Tomasini.

Alerter sur les violences pour sauver des vies

« Le film est très fidèle à la réalité », juge Laura Rapp. Si elle a accepté que l’on raconte son histoire, c’est pour aider à une réelle prise de conscience du problème. « Il est très difficile de changer les choses, on avance à pas d’escargot, estime la jeune femme. J’espère que le film permettra de sauver des vies ».

« Cette violence est insupportable », estime Lucien Douib, le père de Julie, l’autre victime. Sa fille a été abattue à son domicile par son ancien conjoint, alors qu’elle s’était séparée de lui. Il encourage toutes les victimes à porter plainte : « Il faut avoir ce courage, même si c’est difficile. » En rappelant que c’est ensuite à la justice de protéger les femmes victimes de violences.

Les victimes sont souvent peu protégées

« Quelle société voulons-nous ?, interroge Laura Rapp. Une société qui protège les hommes violents ou une société qui protège les victimes ? ». Le téléfilm « Elle m’a sauvée » raconte ses difficultés à être protégée par la justice durant l’attente de son procès. « Mon ex-compagnon était sorti de prison sans explication et ne respectait pas l’obligation de se tenir à distance de ma fille et moi ». Craignant pour sa vie, elle avait lancé un appel sur les réseaux sociaux*** qui avait conduit à la réincarcération de son ex-conjoint.

« Malgré plusieurs plaintes, on n’a pas pris au sérieux ma fille, regrette Lucien Douib. Aujourd’hui, beaucoup de victimes de féminicide ont le même parcours. » Témoin de la détresse de sa fille, il affirme l’avoir souvent vue ressortir du commissariat sans solution. « On ne leur demande pas si elles sont accompagnées, si elles ont peur, déplore celui qui élève aujourd’hui les deux enfants de sa fille Julie. C’est pourtant à ce moment-là qu’il faut les prendre en main. »

Suite au Grenelle** contre les violences conjugales organisées en 2019, une formation à l’accueil des femmes victimes de violences intra-familiales a été dispensée aux policiers et gendarmes. Un numéro d’urgence, le 3919, a également été ouvert. Pour autant, le quotidien des femmes victimes a « très peu changé », estiment les protagonistes du film. « Nous avons imploré des moyens financiers pour les protéger. Nous n’avons obtenu que des promesses sans lendemain », déplore Nathalie Tomasini, l’avocate de Laura Rapp.

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LIO Juliette Roudet Clément MANUEL

Changer les mentalités autour des violences conjugales

« Il faut faire des violences faites aux femmes une priorité », estime Nathalie Tomasini. Pour l’avocate, « les hommes violents sont trop protégés par une société qui ne souhaite pas s’attaquer frontalement au problème ». En cause notamment, une tendance à minimiser les comportements violents qui entraînerait un sentiment d’impunité. Selon maître Tomasini, les agresseurs sont aujourd’hui convaincus qu’ils peuvent frapper leur conjointe sans subir de poursuites.

Comment faire bouger les lignes ? Pour l’avocate, « cela commence par allouer un budget conséquent à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Un budget qui permettrait dans un premier temps de fournir un lieu d’accueil aux femmes en danger, ainsi qu’à leurs enfants. Lucien Douib se rappelle combien ces solutions ont manqué à sa fille Julie. « Porter plainte est déjà très difficile pour une femme. Mais si on ne lui propose rien, que peut-elle faire hormis rentrer chez elle ? Il faut les sortir de là. »

La formation et l’éducation : deux priorités pour lutter contre les violences conjugales

Maître Tomasini rappelle aussi la nécessité de la formation des professionnels. « Tous les intervenants impliqués doivent être formés aux spécificités des violences intra-familiales », qu’il s’agisse des policiers, des avocats ou encore des magistrats. Une sensibilisation qui devrait aussi concerner le grand public, en commençant dès le plus jeune âge, selon l’avocate. « On doit aller dans les écoles, apprendre aux petits garçons qu’il faut respecter les petites filles. »

La question des enfants est essentielle pour Laura Rapp, qui rappelle qu’un enfant témoin de violences intra-familiales est aussi une victime. Un enfant bénéficie de son propre avocat lors d’un procès pour violences conjugales. Laura Rapp se bat aujourd’hui pour protéger les mineurs et casser un certain « cycle de la violence ». « Tant qu’on ne protégera pas les enfants, la société ne changera pas. On sait que les auteurs reproduisent une partie de la violence à laquelle ils ont été confrontés petits. »

Les victimes demandent une plus grande sévérité pour les agresseurs

Enfin, ce changement de mentalité ne pourra pas s’opérer sans un renforcement de l’arsenal judiciaire. « Il faut radicaliser les sanctions, poursuit maître Tomasini. L’effet dissuasif est réel. »

Un avis partagé par Lucien Douib, qui insiste sur la nécessité de peines fortes. « Il faut punir, avec de la prison ferme pour des faits de violences. Et un féminicide devrait entraîner la perpétuité ».

 

*D’après le collectif "Féminicides par compagnon ou ex" qui recense les féminicides depuis 2016.

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