Troubles de l’oralité alimentaire : quelle prise en charge ?

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Nathalie Ferron

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Les troubles de l’oralité alimentaire chez l’enfant sont des motifs de consultation de plus en plus fréquents. De quoi s’agit-il et comment sont-ils pris en charge ? Explications.

Pour la plupart des enfants, manger est un acte naturel, spontané et source de plaisir. Pourtant, pour certains d’entre eux, les repas peuvent devenir un moment difficile, source d’anxiété et de tensions. Difficultés à s’alimenter, refus de voir, de sentir ou de toucher certains aliments, réaction de dégoût à la vue de la nourriture… les troubles de l’oralité alimentaire concernent de nombreux enfants pour des raisons variées.

Avant qu’un aliment soit mis en bouche, tous les sens interviennent. « On commence par voir l’aliment, on le sent, on le touche, on le porte à la bouche, on le mâche et enfin, on l’avale. Si toutes les étapes de ce cycle ne sont pas respectées, des difficultés peuvent apparaître », souligne le Dr Marc Bellaïche, gastro-pédiatre responsable d’une consultation dédiée aux troubles du comportement alimentaire chez l’enfant à l’hôpital Robert Debré à Paris.

Ce spécialiste estime plus pertinent de parler de troubles du comportement alimentaire du petit enfant (TCAPE), un acronyme qu’il a créé, plutôt que de troubles de l’oralité.

Une grande variété d’expression des troubles

Les troubles du comportement alimentaire chez le petit enfant peuvent apparaître dès la naissance, mais ils se manifestent le plus souvent au moment de la phase de diversification alimentaire, lorsque les parents commencent à introduire des goûts et des textures différents. Dans certains cas, ils peuvent survenir plus tardivement. Chez l’enfant, les troubles du comportement alimentaire peuvent s’exprimer de différentes manières.

Petits mangeurs, souvent incapables de rester assis à table pendant le repas, certains enfants peuvent picorer toute la journée. « Ce sont souvent des enfants minces et très actifs », raconte le Dr Marc Bellaïche.

D’autres enfants vont exprimer des troubles du comportement alimentaire par le biais d’une sélectivité alimentaire, réduite parfois à une dizaine d’aliments. Ce qui compromet la mise en place d’une alimentation variée et équilibrée. « Certains enfants ne peuvent manger que des aliments blancs ou ont la nausée à la vue d’une purée verte, tandis que d’autres ne supportent pas les morceaux ou la texture humide de certains fruits », illustre le gastro-pédiatre.

Difficile pour les parents d’introduire de nouveaux aliments. « Ces enfants refusent de goûter tout aliment nouveau et peuvent exprimer une peur de manger proche de la phobie », ajoute Réjane Poidvin Defrasne, orthophoniste.

Quelles sont les causes des troubles de l’oralité alimentaire ?

Parmi les nombreux facteurs possibles de ces troubles, on trouve des problèmes digestifs sévères. « Si l’enfant a subi une intervention chirurgicale précoce, qu’il a été intubé ou qu’il a souffert de vomissements répétés sur une longue période, l’acte de manger peut être assimilé à une agression de la sphère orale. L’enfant a, dès lors, perdu le plaisir de manger », explique le Dr Marc Bellaïche.

Outre des pathologies digestives, des malformations congénitales ou des causes neurologiques, peuvent également intervenir. « Un enfant qui avale de travers ou qui conserve un douloureux souvenir d’une gastro-entérite sévère peut développer par la suite une anxiété à l’idée de s’alimenter », ajoute l’orthophoniste.

Des particularités anatomiques, ainsi que des difficultés pour mastiquer ou déglutir peuvent aussi jouer un rôle dans l’apparition de ces troubles. « Apprendre à mastiquer n’est pas spontané. Cela passe par la répétition des mêmes gestes sur une certaine période », explique le Dr François Cunin, pédiatre à la fondation Ildys à Brest. Des spécificités individuelles peuvent intervenir. « Un enfant qui bave beaucoup ou dont la langue manque de mobilité peut aussi favoriser l’expression de ces troubles », explique le Dr Marc Bellaïche.

Enfin, une hypo ou une hypersusceptibilité sensorielle peut aussi être en cause. Sans que l’on en connaisse les raisons profondes, certains enfants ne supportent pas la vue, l’odeur, voire la texture de certains aliments. Les textures molles, visqueuses, lisses ou agrémentées de morceaux peuvent être source de dégoût, occasionner nausées et vomissements. « Les légumes et les fruits collants et humides, comme les kiwis ou les poires, par exemple, font partie des aliments rejetés par de nombreux enfants », illustre le Dr Marc Bellaïche.

Une prise en charge personnalisée

Si l’on parle davantage des troubles de l’oralité ou du comportement alimentaire du petit enfant à notre époque, cette problématique n’est pourtant pas récente. Mieux formés, les professionnels ont pu bénéficier de l’avancée de la recherche grâce à de nombreux travaux publiés sur le sujet. Les changements de modèle éducatif (auparavant, l’enfant était tenu de finir son assiette, par exemple) et la prise en charge de ces difficultés ont également évolué.

Inquiets, les parents viennent consulter lorsqu’ils estiment que leur enfant ne s’alimente pas comme il le devrait. Ils évoquent souvent les risques de dénutrition face à une courbe de poids qui s’éloigne de la norme. Certains signes doivent amener à s’interroger. « Dès lors que l’enfant pleure ou hurle à l’idée de passer à table, qu’il refuse systématiquement tout aliment nouveau ou que le repas dure trop longtemps, il est important de consulter rapidement », explique Réjane Poidvin Defrasne.

Pour le Dr François Cunin, une consultation s’impose quand l’enfant n'est pas en mesure d’avoir une alimentation en quantité suffisante avec un panel d’aliments évitant les carences. La dimension sociale, à travers la convivialité des repas, doit également être prise en compte. « Si les troubles empêchent l’enfant de partir en colonie de vacances, d’aller déjeuner chez sa grand-mère ou de participer à un repas en classe, il est important de consulter ».

Encourager sans jamais forcer

Après un bilan médical visant à élucider des causes organiques possibles, le médecin proposera des solutions personnalisées. « Forcer l’enfant, le punir ou utiliser la distraction pour lui mettre une cuillère dans la bouche, par exemple, peut potentiellement générer une anxiété supplémentaire », prévient le Dr Marc Bellaïche.

Pour les petits mangeurs ayant tendance à « picorer », instaurer des parcours alimentaires sous forme de pique-niques ludiques, par exemple, peut occasionner un changement efficace. Impliquer l’enfant dans la confection des repas, recourir à des jouets et jeux sensoriels (jouets à mâcher…) peuvent s’avérer des stratégies gagnantes. En revanche, le cadre et le rythme des repas doivent être décidés par les parents.

Une autre piste consiste à utiliser des petites assiettes dans lesquelles on placera de modestes quantités de nourriture pour rassurer l’enfant. Intégrer systématiquement un aliment apprécié de l’enfant dans l’assiette, lui laisser la possibilité de cracher sont autant de procédés utiles pour amener à un changement progressif de comportement. Cela nécessite parfois de faire preuve de créativité. « Si l’enfant aime les chips, présenter tous les aliments sous forme de chips peut être une bonne idée », ajoute Réjane Poidvin Defrasne, orthophoniste.

Pour les enfants sélectifs, voire phobiques, « il s’agit de présenter, chaque jour, d’abord visuellement, l’aliment refusé. Progressivement, on va demander à l’enfant de prendre en main l’aliment, de l’écraser, de le sentir, puis de le mettre à sa bouche. La séance suivante, on lui demandera de le mâcher, puis de le cracher, enfin de l’avaler », explique le Dr Marc Bellaïche.

Ce long travail de désensibilisation requiert beaucoup de patience de la part des parents. Ainsi, entre le jour où l’aliment est présenté et celui où il est enfin avalé, il peut se passer de nombreux mois (6 à 18 mois en moyenne). « Ce temps de réadaptation est nécessaire car si une étape manque, la stratégie thérapeutique se soldera par un échec », poursuit le gastro-pédiatre. Si les parents perdent patience ou se sentent découragés, différents professionnels paramédicaux (orthophonistes, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, psychomotriciens…) peuvent proposer des soins complémentaires. « Prodiguer des massages intra-buccaux, au niveau de la gencive et de chaque côté des arcades dentaires, pour désensibiliser la cavité buccale peut être bénéfique chez certains enfants », explique l’orthophoniste.

Quelle qu’en soit l’origine, face aux troubles du comportement alimentaire d’un jeune enfant, il convient de consulter rapidement un médecin ou un professionnel de santé spécialisé dans la prise en charge de cette problématique. En l’absence de suivi, ces troubles peuvent entraîner des retards de développement (troubles sensoriels, oro-moteurs, troubles du langage…) et perdurer à l’adolescence, voire à l’âge adulte.

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