Misophonie : quand les bruits des autres rendent fous

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Par Sandrine Letellier

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La misophonie se caractérise par l'intolérance de certaines personnes aux bruits émis par leur entourage. Une prise en charge adaptée à chaque patient permet de combattre cette gêne qui peut s'avérer très handicapante socialement.

Étymologiquement « haine du son » (du grec miso, qui signifie « haine », et phono, le « son »), la misophonie, trouble encore peu connu, a été identifiée par les travaux des Dr Margaret et Pawel Jastreboff dans les années 2000. « Cela commence dès le réveil. Je l'entends croquer sa pomme et j'ai envie de la tuer… » Comme de nombreuses personnes ayant rejoint l'association spécialisée STOP Misophonie ou témoignant sur le site www.misophonie.fr - qui recueille des témoignages de personnes misophones et propose des réunions #EntreMisophones -, Fabien, 38 ans, est à bout. Il ne supporte plus mastications, reniflements, raclements et autres bruits incongrus quotidiennement émis par sa compagne.

À en croire certaines études, la misophonie concernerait entre 5 et 20 % d'une population spécifique donnée. Selon les conclusions d'une étude anglaise très récente parue dans une publication scientifique de référence*, près d'un adulte britannique sur cinq, soit 18,4 % de la population, souffre de cette détestation particulière des sons. En France, le comédien Bruno Salomone confiait lui aussi être atteint de ce mal encore méconnu qui génère de l'anxiété, du dégoût, de la colère et parfois même de l'agressivité. En 2019, il offrait, à ce titre, un éclairage inédit sur la misophonie avec la publication d'un roman éponyme**.

La misophonie, une intolérance au bruit des autres

« La misophonie est une intolérance exacerbée au son qui se déclare généralement dans l'enfance ou l'adolescence, et même à l'âge adulte, explique le Dr Anne-Marie Piffaut, ORL et psychothérapeute en région lyonnaise et autrice d'un ouvrage sur le sujet***. Plusieurs études ont constaté que les types de sons les plus impliqués dans la misophonie sont les bruits de gorge, de mastication, de reniflement provenant de l'entourage immédiat de la personne concernée. Comme si les sons les plus dérangeants étaient ceux qui relèvent de la part primaire, animale et intime de l'autre. » D'autres sons peuvent cependant provoquer des réactions aversives : bruits de clés, tic-tac d'une montre, froissement du papier entourant un bonbon ou compression d'une bouteille plastique, claquement de portes, entrechoquement de couverts…

La misophonie se manifeste par une répulsion auditive à des bruits très précis et pouvant être très différents d'un individu à l'autre. Ainsi, des petits bruits a priori banals, qui peuvent légitimement énerver beaucoup de monde, dépassent soudain le seul sentiment d'inconfort pour se transformer en véritable calvaire chez les personnes misophones, avec un retentissement sur l'entourage, car à l'origine de conflits. « À l'écoute de certains sons, les personnes sujettes à la misophonie peuvent éprouver une réaction épidermique très violente, décrit Maria Vinals Garcia, psychologue clinicienne à Nantes. Le corps se crispe, le rythme cardiaque s'accélère, la sueur perle au front, la colère monte... au point parfois de déclencher des crises de panique, des envies de vomir. Cela peut aller jusqu'à vouloir mordre et taper celui ou celle à l'origine d'une souffrance tout aussi incontrôlable qu'incompréhensible ».

Pas de consensus sur l'origine de ce symptôme

Les études concernant ce trouble sont encore à leurs balbutiements avec une communauté médicale divisée quant à l'origine de la problématique. Selon certains médecins, la misophonie serait due à un désordre du système auditif proche de troubles comme l'hyperacousie (hypersensibilité aux sons) et les acouphènes (perception auditive anormale de bruits dans l'oreille tels que des bourdonnements, sifflements, grincements...) avec des conséquences sur les ressentis émotionnels. D'autres pensent qu'il s'agit d'un désordre d'ordre émotionnel lié à une hyperactivité cérébrale. D'autres encore, à l'instar du Dr Piffaut, l'expliqueraient aussi par l'impact des traumatismes psychiques et des émotions refoulées.

« Il ne s'agit pas d'une maladie, mais d'un symptôme qui fait suite à une hyperexcitabilité, une hypervigilance ou une hypersensibilité émotionnelle, insiste le Dr Piffaut. On peut naître avec une hypersensibilité ou entretenir des croyances et des pensées négatives sur soi qui sont sources d'émotions parfois désagréables. On peut aussi être marqué par un passé traumatique, angoissant qui conduit à être attentif au moindre bruit. »

Différents profils à risque

Parmi les profils à risque, les études ont notamment mis en avant des personnes nées prématurées, marquées par des instruments posés sans précaution sur les couveuses, ainsi que des soins précoces effectués sans ménagement. Ou encore des personnes victimes d'agressions et de comportements abusifs rappelés à leur souffrance ancienne, et parfois oubliée, par certains bruits précis.

Il semblerait aussi que la misophonie et l'hyperacousie soient fréquentes chez les personnes sujettes à un trouble du spectre de l'autisme ou diagnostiquées « haut potentiel ». « Il faut néanmoins se garder de mettre les gens dans des cases et s'intéresser avant tout à une souffrance dont la cause, enfouie dans une mémoire lointaine et souvent ignorée, peut susciter des émotions désagréables sans raison apparente, souligne le Dr Piffaut. Lorsque son retentissement sur la vie sociale, professionnelle, familiale s'avère trop handicapant, il devient nécessaire de consulter car il y a des solutions de désensibilisation émotionnelle très efficaces. »

Des thérapies adaptées à l'âge et à l'histoire du patient

Si les symptômes sont plus ou moins importants d'une personne à l'autre (vomissements, cris, pleurs, évitement des contacts...), le sentiment de honte et de culpabilité est extrêmement répandu face à des réactions considérées comme disproportionnées. La difficulté, c'est d'abord d'oser en parler. Aussi l'errance thérapeutique peut durer de longues années. Le diagnostic, même s'il est parfois difficile à poser, peut être établi soit par un médecin ORL, après interrogatoire et bilan auditif, soit par un psychiatre ou encore un psychologue clinicien.

« La prise en charge est psychothérapeutique et peut varier selon le clinicien, l'âge et l'histoire du patient, précise Maria Vinals Garcia. Comme pour le traitement des phobies, les thérapies comportementales et cognitives (TTC) ont longtemps été recommandées. Mais d'autres techniques, comme par exemple la sophrologie, la cohérence cardiaque, la méditation de pleine conscience, ou encore l'EMDR (technique basée sur des mouvements oculaires pour débloquer les souvenirs traumatiques et reconnue par l'Organisation Mondiale de la Santé) pour les troubles les plus sévères, sont aussi de plus en plus utilisées pour gérer l'insupportable. »

L'objectif de ces différentes techniques est de transformer les sons déclencheurs des patients très anxieux afin qu'ils parviennent à les considérer comme des sons normaux. « D'un patient à l'autre, les résultats sont très variables et souvent tributaires de sa collaboration active et de sa capacité à renoncer aux stratégies d'évitement (bouchons d'oreille, écouteurs, isolement social...) », observe Maria Vinals Garcia. De fait, nombre de patients peinent à renoncer aux moyens « artificiels » qu'ils ont choisis parfois depuis des années pour se protéger du bruit d'autrui. Ils retardent alors toute possibilité d'efficacité de la thérapie. Les médicaments de type antidépresseurs et anxiolytiques, parfois prescrits en complément par les psychiatres, semblent être d'une efficacité limitée.

*PLOS One, mars 2023

**Les misophones, de Bruno Salomone, Pocket, 2020

*** Misophonie : Soulager l'intolérance aux bruits des autres, Dr Anne-Marie Piffaut, Ed. Leduc.

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