Cueillette des champignons, gare aux méprises

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Solal Duchêne

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Cueillette des champignons, gare aux méprises © Solal Duchêne

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Depuis le 1er août 2023, plus de 250 personnes ont été intoxiquées après avoir consommé un champignon toxique. C’est deux fois plus qu’en 2022 sur la même période. Découvrez les conseils des mycologues que nous avons suivis en forêt pour une cueillette en toute sécurité.

Une branche craque. Dans les sous-bois de la forêt de Notre-Dame, dans le Val-de-Marne, une silhouette s’agite derrière un bosquet, grattant le sol. Après quelques minutes de cet étrange ballet, Francis émerge d’un taillis les bras chargés de bolets orangés. « C’est mon jour de veine ! En 40 ans de cueillette, je n’en ai jamais ramassé autant ! »

Ils sont nombreux, en cette matinée d’automne, à s’être lancés en quête de chanterelles, cèpes et autres coulemelles, en vue du repas dominical. Mais gare aux méprises. Chaque année, la consommation de champignons vénéneux est responsable de plus d’un millier d’intoxications*, parfois mortelles. En 2022, deux personnes en sont décédées, quatre en 2021. En ce début de saison (la saison 2023 est précoce), les chiffres sont déjà repartis à la hausse. Depuis le premier août, plus de 250 cas d’intoxications ont été signalés, soit deux fois plus qu’en 2022 sur la même période.

Des confusions potentiellement fatales

Revenant sur ses pas, Francis débusque un entolome livide qu’il écrase avec son bâton. Cette espèce hautement toxique ressemble à s’y méprendre à des variétés comestibles. « La plupart des intoxications sont dues à une confusion entre un champignon comestible et une espèce nocive », regrette René Challange, administrateur et ancien président de la Société mycologique de France. Une erreur qui peut s’avérer dramatique, si le fruit de la cueillette est servi à toute la famille au dîner.

« Certains champignons étant mortels, le risque est réel lorsqu’il y a une confusion », estime Magali Labadie, chef de service du centre antipoison du CHU de Bordeaux. Si certains champignons ne causeront que des troubles digestifs mineurs, d’autres en revanche « vont provoquer des atteintes hépatiques ou rénales pouvant mener au décès », avertit le médecin.

Pas plus de cinq kilos par personne et par jour

En France, le ramassage de champignons est autorisé dans toutes les forêts publiques. « Il faut savoir être mesuré et prélever de façon respectueuse », observe Francis, mycologue amateur. D’après la loi, une cueillette se limite à cinq kilos par personne et par jour.

Diarrhées et vomissements en cas d’intoxications

« Un empoisonnement au champignon toxique se manifeste la plupart du temps, au début, par des signes digestifs », poursuit Magali Labadie. C’est-à-dire des diarrhées et vomissements, survenant dans les heures ou les jours qui suivent l’ingestion. « Plus les signes arrivent tard, plus il faut s’inquiéter, car ils peuvent être révélateurs d’une atteinte du foie ou des reins ; et même si les signes digestifs initiaux sont peu importants, la situation peut être très grave quand même », met en garde le médecin, qui rappelle que la survenue de ces signes après une consommation de champignons « doit systématiquement entraîner un appel au centre antipoison ».

Il en existe 8 en France, dont les coordonnées sont accessibles sur le site centres-antipoison.net. Ce centre d’appels, où répondent des professionnels de santé, spécialisés en toxicologie, est capable d’évaluer la gravité de la situation et de proposer une prise en charge adaptée à chaque malade. « Lorsque nous sommes contactés, nous demandons d’abord si les champignons consommés ont été pris en photo, afin de pouvoir les identifier » rapporte Magali Labadie.

Le cas échéant, le médecin du centre antipoison demande quel champignon le promeneur pensait avoir ramassé. « Certaines confusions sont classiques, comme celle faite entre la coulemelle et l’amanite phalloïde, une espèce mortelle. En fonction du champignon cité, on peut déduire avec lequel il a pu être confondu », explique la professionnelle de santé.

En cas de doute, s’adresser à son pharmacien

À quelques centaines de mètres, Philippe, un autre cueilleur occasionnel, n’a pas eu la même veine que Francis. Moins expérimenté, il n’a pas osé ramasser les champignons qu’il a trouvés ce matin. « Il faut être sûr à 200 % du champignon que l’on met dans son assiette », insiste-t-il, hésitant face à ce qui ressemble à un bolet.

Avec plus de 3 000 espèces de champignons recensées dans le monde, il peut être difficile de s’y retrouver. Dans son rapport annuel, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) rappelle quelques règles de base : ne ramasser que les champignons que l’on connaît parfaitement et ne jamais faire manger à de jeunes enfants les champignons que l’on cueille. « Il faut regarder un par un tous les champignons et, en cas de doute, faire identifier par un pharmacien ou un mycologue d’une société de mycologie », rappelle Magali Labadie, du centre antipoison de Bordeaux.

Fuir les bords de route et les applications dites « spécialisées »

La spécialiste conseille aussi de prendre son panier en photo, en étalant sur la table tous les champignons afin d’avoir une trace de chacun. « Et si possible, en garder un exemplaire de chaque espèce ramassée, à montrer en cas d’intoxication », appuie le médecin.

En revanche, il est plutôt risqué de se fier aux applications censées aider à différencier les espèces. Elles font « plein d’erreurs » lancent unanimement tous les cueilleurs croisés. « On ne fait pas d’à peu près, martèle Magali Labadie, utiliser ces applications est une très mauvaise idée ».

On évitera enfin « les bords de routes, d’autoroutes et les zones traitées par pesticides », recommande René Challange, de la Société mycologique de France. Car le champignon, véritable « éponge », absorbe tous les produits toxiques.

Un légume qui contient des nutriments mais peu de protéines

À force de persévérance, Philippe débusque enfin un cèpe de belle taille, qui disparaît dans son sac à dos. « Il va peut-être finir en velouté ou accompagner un civet de lapin dimanche », salive le mycologue aux tempes grisonnantes.

Car le champignon, quand il est comestible, est un aliment sain et recommandé pour la santé. « C’est un très bon légume, pauvre en calorie, riche en eau, qui contient des vitamines et des minéraux », assure le nutritionniste Jean-Michel Lecerf. Source de fibres, le champignon participe globalement bien à l’équilibre alimentaire, mais n’est pas pour autant à classer dans les « superaliments » tempère le médecin.

Il n’est par exemple pas indiqué pour remplacer la viande, dans le cadre d’un régime végétarien. C’est parfois le cas dans certains restaurants, qui, par effet de mode, ont remplacé le steak de bœuf des hamburgers par des "steaks" de champignons. « C’est ridicule car l’apport en protéines du champignon est environ dix fois inférieur à celui de la viande », prévient le docteur Lecerf.

Les mains maculées de terre, Francis ramasse une ultime « queue de renard », l’un des surnoms du bolet orangé. Le retraité en a déjà ramassé plusieurs kilos depuis le début de la saison. Une quête dont il ne se lasse pas : « Les champignons sont une espèce mystérieuse, personne n’a encore réussi à percer leur secret. »

* Entre le 1er juillet et le 31 décembre 2022, 1 923 intoxications ont été rapportées aux centres antipoison, d’après l’Anses.

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