Lundi 14 septembre 2020, la Ligue contre le cancer a lancé une campagne et une enquête sur les pénuries de médicaments en cancérologie. Ces actions font écho aux inquiétudes exprimées par plusieurs associations de patients, comme France Assos Santé, qui alertent le gouvernement sur l’urgence de la mise en œuvre de mesures prévenant les ruptures de stock. Les chiffres sont éloquents : en dix ans, les signalements de tensions d’approvisionnement de médicaments ont été multipliés par 20, passant de 44 en 2008 à 868 en 2018.
Selon un rapport public, 60 % des ruptures de stock sont d’origine industrielle (problème sur la chaîne de production, nécessité de fermer temporairement une usine…), le reste est lié à des raisons économiques ou commerciales.
Selon ce rapport, il n’y a pas de corrélation entre délocalisation et ruptures d’approvisionnement. Lors du petit-déjeuner organisé par l’ANPM (association nationale de la presse mutualiste), en septembre 2020, l’ancien président de la Mutualité Française, Etienne Caniard, était en accord avec cette analyse. « Les ¾ des médicaments commercialisés en France sont produits en Europe. », précise-t-il. Selon lui, les causes de l’augmentation inquiétante du nombre de pénuries de médicaments sont plus complexes.
« Il faut regarder l’historique des grandes évolutions de la chaîne de production du médicament pour comprendre ces pénuries » explique-t-il. Ainsi, à l’arrivée des génériques, l’industrie pharmaceutique a segmenté de façon très fine les différentes étapes de production de ses médicaments. Les différents « ingrédients » d’un médicament ne sont pas forcément produits dans la même usine. La chaîne de production est donc de plus en plus éclatée. On observe aussi une concentration de certaines étapes de la production sur un petit nombre de fabricants. C’est cette concentration qui est susceptible de provoquer des ruptures, car un problème sur un seul maillon de la chaîne peut pénaliser la production mondiale.
La deuxième cause est également d’ordre industriel. « Dans toutes les industries, la tendance est à la production en flux tendus, souligne Etienne Caniard. Les usines fournissant les laboratoires pharmaceutiques n’échappent pas à la règle et stockent de moins en moins de produits à tous les niveaux de la chaîne de production ».
En outre, l’ancien président de la Mutualité Française rappelle qu’actuellement, du fait de l’organisation de la recherche, l’innovation vient de plus en plus de start-ups, ensuite rachetées par des laboratoires pharmaceutiques. « Ils souhaitent amortir au plus vite leur investissement et vont concentrer leurs efforts sur ces médicaments innovants, parfois aux dépens des médicaments plus anciens ».
Selon Etienne Caniard, les conditions pour pallier ces ruptures d’approvisionnement doivent d’abord venir des Etats. « A l’heure actuelle, les Etats ne coopèrent pas ensemble, il n’y a pas d’harmonisation, que ce soit sur les dosages, les notices ou sur les prix. En effet, le prix d’un même médicament innovant peut varier énormément d’un pays à l’autre, explique-t-il. Une politique de prix mieux harmonisée permettrait d’assurer une production continue même sur des médicaments anciens dont les brevets sont tombés dans le domaine public – et qui, aujourd’hui, intéressent moins les laboratoires ».
Sans plaider pour des relocalisations, Etienne Caniard insiste sur l’importance de multiplier les lieux de productions, plutôt que de les concentrer comme le veut la tendance actuelle.
Il évoque d’autres solutions, notamment celle de disposer de systèmes d’information pour anticiper les risques de rupture dans les chaînes d’approvisionnement. « Actuellement, ni l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) ni l’Agence européenne des médicaments (EMA) ne disposent de systèmes permettant d’identifier les maillons faibles de la chaîne. »
Enfin, « il faudrait établir une liste de médicaments à intérêt thérapeutique majeur, et investir dans l’organisation de meilleures chaînes de production pour ces produits », conclut l’ancien président de la Mutualité Française.