Acouphènes : une vraie souffrance pour les patients

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Par Peggy Cardin-Changizi

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À l’occasion de la Journée nationale de l’audition (JNA), le 14 mars 2024, les associations JNA et France Acouphènes révèlent qu’il y aurait 15 millions de personnes acouphéniques en France. Si ce trouble auditif a des conséquences sur la santé des patients, il représente aussi un « fardeau économique et social » pour la société. Des solutions existent pour améliorer la prise en charge.

Des sensations auditives non causées par des stimuli sonores externes : c’est ainsi que l’on pourrait définir les acouphènes. Ces sensations peuvent se manifester sous forme de sifflements, bourdonnements, chuintements ou tintements, et peuvent être perçues dans une seule oreille ou dans les deux de manière continue ou intermittente, transitoire ou persistante. 

« Ce qui va être caractéristique, c'est que ces manifestations, qui ne proviennent pas du monde extérieur, ne vont jamais totalement disparaître, explique Nicolas Dauman, maître de conférences en psychopathologie clinique à l’université de Poitiers. Et de ce fait, le quotidien va devenir très compliqué pour les patients. En effet, notre vie psychique est construite sur une alternance entre des moments d’interactions avec les autres et des moments de repos, par exemple lorsque l’on s'endort. L'acouphène vient perturber considérablement cette alternance. C’est une forme d’intrusion qui est toujours présente et que l’on ne peut jamais mettre derrière soi. »

Les premiers symptômes vers 40 ans

Selon l’étude sur le poids social et économique des acouphènes (PESA)*, il y aurait environ 15 millions de personnes acouphéniques en France, dont 5 considérées comme sévères à catastrophiques. 

L'âge moyen des acouphéniques est aux alentours de 55 ans. « Mais celui du début des symptômes est plus jeune, vers 41 ans, constate Jean-Charles Ceccato, vice-président de l'association JNA. C’est l'âge à partir duquel les premiers problèmes d’audition, comme de vue d’ailleurs, commencent à se manifester. C’est un point de bascule bien connu ».

Chez les moins de 50 ans, les acouphènes sont le plus souvent causés par des traumatismes acoustiques (musique trop forte, exposition à une alarme, coups de feu…). Pour les plus âgés, l’apparition est plus progressive et davantage associée à la perte d’audition liée au vieillissement (ce qu’on appelle la presbyacousie). Mais elle peut aussi intervenir après un choc émotionnel ou encore un traumatisme crânien. 

Une prise en charge tardive des acouphènes

« Quelles que soient la cause et la tranche d’âge concernées, les acouphènes ne sont pas bénins et doivent entraîner une consultation », poursuit Jean-Charles Ceccato. Mais, toujours selon l’étude PESA, un tiers des individus affectés par des acouphènes n’ont jamais consulté (27 %). Et pour ceux qui sautent le pas, la première consultation avec un professionnel de santé n’intervient que 6 à 7 ans après les premiers symptômes. 

« Plus alarmant encore : seuls 14,3 % des répondants indiquent avoir bénéficié d’une prise en charge qu’ils estiment "satisfaisante", et ce en moyenne 9 ans après l’apparition de leurs acouphènes. Ce délai fait courir un risque d’aggravation des symptômes et des risques de comorbidité ». Pour cette pathologie, les patients vont consulter un ORL de manière préférentielle dans 75 % des cas. « Mais dans des zones de déserts médicaux, le médecin généraliste devient le premier recours, voire l’unique recours pour les patients qui souffrent d'acouphènes. »

Un handicap modéré pour la moitié des personnes touchées

Le retentissement des acouphènes est très variable d’une personne à l’autre : de la simple gêne, ils peuvent handicaper la vie quotidienne en engendrant stress, irritabilité, anxiété, voire dépression… Pour évaluer le niveau de handicap lié aux acouphènes, l’étude PESA a intégré un questionnaire validé internationalement le Tinnitus Handicap Inventory (THI). 

Chez 47,2 % des sondés, celui-ci est « modéré », tandis que 20,9 % présentent un léger handicap. Cependant, 20,8 % présentent dans une forme sévère. Les moins de 50 ans présentent des formes les plus sévères. 
Au point que les associations JNA et France Acouphènes les considèrent comme « un handicap non reconnu ». « C'est un handicap qui ne se voit pas et qui ne s'entend pas », confirme François Gernigon, député du Maine-et-Loire, membre de la commission Affaires Sociales et atteint d’acouphènes depuis la découverte (et le traitement) d’un neurinome de l'acoustique. « Et beaucoup de gens pensent qu’ils sont seuls à vivre avec ce handicap alors que des millions de personnes sont concernées. » 

Les acouphènes sont parfois si invalidants qu’ils ont des répercussions sur la vie professionnelle. 16 % des sondés déclarent ainsi avoir eu au moins un jour d’arrêt de travail à cause de leurs acouphènes et 11,4 % ont même été contraints de changer d’emploi ou de poste. 

Un poids économique et social 

Au-delà de la souffrance physique, les conséquences purement financières sont tout aussi préoccupantes. Selon l’étude PESA, qui a pour la première fois en France estimé les coûts associés aux acouphènes, les personnes acouphéniques évaluent à 2 000 euros la perte de revenus (4 000 euros en Île-de-France). Les patients ont déboursé en moyenne 840,75 euros par an, en consultations et examens. 

Pour la Sécurité sociale, le coût total moyen par patient et par an s’élève à 296,75 euros. Par ailleurs, le reste à charge pour le patient s’élève à 1 079,85 euros, ce coût est lié notamment à l’appareillage auditif qui nécessite un masqueur d’acouphène mal remboursé. Tout comme les bouchons d’oreilles sur mesure. Le reste à charge inclut également le recours à des thérapies alternatives (ostéopathie, acupuncture) non-remboursées et des compléments alimentaires). 

Rapporté à la population française souffrant d’acouphènes permanents (4,9 millions), le coût total estimé des acouphènes avoisine les 12 milliards d’euros par an, sans tenir compte des arrêts de travail.

Des pistes d’amélioration pour une meilleure prise en charge 

Face à ce constat, quelles solutions mettre en place pour améliorer la prise en charge des patients et réduire les coûts liés aux dépenses de soins ? Tout d’abord, renforcer l’information. Selon une étude IFOP/JNA, publiée également à l’occasion de la journée mondiale de l’audition 2024, 7 personnes sur 10 jugent que les professionnels de santé ne communiquent pas assez sur le sujet, et 84 % pensent la même chose au sujet des pouvoirs publics. 

La prise en charge est un autre point d’amélioration. « On pourrait par exemple instaurer une consultation spécialisée pour les acouphéniques », suggère le Dr Alain Londero, médecin ORL à l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. De son côté, le Pr Hung Thai Van, chef du service audiologie et explorations orofaciales de l'Hôpital Édouard Herriot de Lyon, appelle au remboursement de l’acte des otoémissions acoustiques (test de dépistage précoce de la surdité). « Sans prise en charge, il n’y aura pas d'investigation plus poussée des patients acouphéniques en France. Cela fait 20 ans que nous le demandons ». 

Enfin, les associations demandent la mise en place d’un panier de soins et la reconnaissance des acouphènes parmi les handicaps invisibles invalidants. Elles plaident aussi pour une prise en charge médicale précoce afin d’éviter une aggravation des symptômes et des comorbidités. 

*Etude PESA : étude réalisée en partenariat avec l’association France Acouphènes et la société d’études Sanoïa. 1 563 personnes concernées par les acouphènes ont répondu à un questionnaire (137 questions) entre le mois d’octobre 2023 et février 2024.

Par Peggy Cardin-Changizi

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