Dorothée Salat : La maladie a commencé par des petits tremblements, des muscles qui bougeaient comme un œil qui saute par exemple. Et puis je trouvais que la voix de mon mari devenait fuyante en fin de journée quand il était fatigué. Gêné par ses tressautements, il est allé voir un médecin. Après divers examens et consultations, quand nous avons appris que c’était la SLA (ndlr : sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot), une chappe de plomb est tombée, ça a été terrible. L’espérance de vie n’est que de trois ou quatre ans. Mais nous étions d’une nature battante. Alors on s’est dit qu’on allait se battre et que peut-être ils trouveront une solution pour guérir cette maladie. C’est bien l’espoir qui nous a fait vivre près de 14 ans.
La SLA (sclérose latérale amyotrophique) aussi appelée maladie de Charcot est une maladie neurodégénérative. Progressivement, les muscles se paralysent. À un stade avancé de la maladie, les muscles respiratoires sont atteints. De 5000 à 7000 personnes* sont touchées en France. 55 ans* est l’âge moyen de début de la maladie.
D.S. : L’état de mon mari s’est dégradé brutalement, il était comme dans un semi coma. Je l’ai donc emmené à l’hôpital à Marseille. Avant de partir, il m’a dit : « Ce soir, tu me ramènes à la maison ». Arrivés là-bas, un médecin me dit : « Est-ce que je peux vous parler ? ». C’est une phrase que je ne supporte plus car elle n’annonce jamais des bonnes choses. Et il me dit « C’est le moment de la trachéotomie ». Je ne savais pas quoi répondre. Je ne voulais pas que mon mari meure. Si je pouvais encore le garder, un jour, une semaine, une heure.
J’ai dit ok mais je voulais poser la question à Alain. Ce n’était pas à moi de décider. On est allé le voir, on lui a expliqué. Il m’a regardé et m’a dit « ok ». Il avait envie de voir notre fils grandir. Il est resté six semaines en réanimation. Après on est rentré à la maison, j’avais été formée pour savoir comment la machine fonctionnait. La première année a été un calvaire : la machine s’arrêtait tout le temps. Il a failli mourir 50 fois. J’ai toujours été là pour faire les gestes qui ont permis de le sauver.
*ouverture chirurgicale de la trachée
D.S. : Toutes les périodes ont été difficiles : l’annonce puis au quotidien voir la santé de mon mari se dégrader. Il ne pouvait plus prendre d’objet avec ses mains, il ne pouvait plus parler, plus manger. Il fallait toujours anticiper ce qui allait arriver. La trachéotomie a été pour lui un emprisonnement de son corps et pour moi un emprisonnement dans le sens où je ne pouvais plus sortir. La nuit, je me levais entre 5 et 6 fois pour aspirer les secrétions dans les poumons.
C’était de la réanimation au quotidien. C’était épuisant. Au début, j’ai tout donné. Chaque jour était un jour de gagné, de bonheur. Au début, on nous avait dit trois ans d’espérance de vie, donc on voulait que ce soit les plus belles années. Après, quand est arrivée la trachéotomie, on nous a dit une semaine, un mois… Et ça a duré près de 11 ans.
D.S. : Pour tenir, je me suis menti à moi-même car je me suis persuadée que l’on allait trouver quelque chose pour le guérir. Tout était espoir. Pour moi, mon mari n’était pas malade mais immobile. Il disait de moi : « Elle est tellement incroyable qu’elle va réussir à me faire marcher ». J’avais envie de lui donner des ailes. Je suis allée dans des salons pour les personnes en situation de handicap. Et je suis revenue avec un appareil avec une reconnaissance de l’œil. L’œil visait des lettres. Mon mari faisait un mot et des phrases et un robot les lisait. Je parlais avec mon mari comme avec n’importe qui, sauf que j’avais perdu sa voix. Grâce à cet appareil qui était relié à son ordinateur, il lisait ses mails. C’était son autonomie. C’était sa façon de continuer, d’aller de l’avant, il avait un courage exceptionnel.
Quand il n’avait pas sa machine, il communiquait avec une pancarte et un système de couleurs pour les lettres. Il clignait des yeux. On conversait comme ça. À la fin, il n’arrivait quasiment plus à cligner des yeux, alors il claquait des dents. Ses derniers mots ont été « je vous aime » et « merci ». Aujourd’hui, il est parti, il ne souffre plus. Notre histoire s’est terminée aussi belle qu’elle a commencé : il s’est endormi dans mes bras.
D. S. : J’ai voulu écrire ce livre en guise de témoignage pour les aidants. On ne parle pas assez d’eux. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui m’envoient des messages en me disant que mon livre les a touchés et qu’ils font un transfert par rapport à leur propre vie. Ça les aide. Ils ont le droit de dire « je ne peux plus et j’arrête ». Ils ont le droit de dire « je ne veux plus ».
Quand j’ai arrêté, je suis tombée dans une anorexie. Aux yeux de la société, je ne pouvais pas dire « je ne peux plus » car ça voulait dire que je baissais les armes. La seule façon de dire que je ne pouvais plus était de me rendre malade moi aussi. C’est terrible. Une anorexie, c’est un contrôle de soi quand vous ne pouvez plus rien contrôler autour de vous. C’est ma définition. Mais si je devais recommencer, je referai exactement la même chose. Pour moi, l’amour c’est l’essentiel et c’est ce qui aide à avancer.
Emmuré(s) vivant(s) – Éditions Plon – mars 2019