Philippe Croizon : « Mon sésame ? Accepter l’aide des autres »

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Par Propos recueillis par Cécile Fratellini

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© Philippe Matsas

« Je suis handi-capable ». Philippe Croizon, ce nageur de l’extrême amputé des quatre membres aime le rappeler. Et même le prouver en traversant la Manche ou en reliant les cinq continents à la nage. Rencontre avec cet homme qui démontre chaque jour que le handicap n’est pas une fatalité.

Pourquoi avez-vous décidé de traverser la Manche à la nage ? L’idée de défier l’impossible ?

Traverser la Manche n’était pas pour moi une revanche sur la vie, j’avais envie de le faire, c’est tout. Quand une personne valide monte l’Everest, on ne dit pas que c’est pour oublier une déception amoureuse alors pourquoi cela serait-il différent pour les personnes handicapées ? L’idée m’est venue un soir à l’hôpital. J’ai vu Marion Hans, une jeune femme de 17 ans traverser la Manche à la nage, se battre contre les éléments, et je me suis dit pourquoi pas moi. Je ne connaissais pas le dépassement de soi. À ce moment-là, j’ai oublié que j’étais une personne handicapée.

À travers vos exploits, vous voulez montrer que le handicap n’est pas une fin en soi, qu’il faut « vivre avec » et se fixer des objectifs. Est-ce vraiment la recette miracle ?

Je n’ai pas de recette miracle. Je ne sais pas comment j’aurai réagi par exemple si un mec amputé des quatre membres était venu me voir à l’hôpital en me disant qu’il avait traversé la Manche à la nage. Ça ne m’aurait pas forcément aidé. Mais si j’avais un conseil à donner, c’est le suivant : il y a un temps pour tout.

Pleurer, hurler, exprimer sa douleur. C’est important de parler, d’arrêter de pleurer sur ce que vous n’avez plus, d’arrêter de vous dire que c’était mieux avant. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il m’a fallu du temps pour dire au revoir à l’ancien Philippe et bonjour au nouveau. Mon handicap m’a sorti de mon canapé. Grâce à lui, j’aime ma vie d’aujourd’hui. Il m’a ouvert les yeux et j’ai construit ma vie avec mon nouveau schéma corporel. Je ne me lève pas en me disant que je suis handicapé, c’est Philippe qui se lève. Et je vis à 1 000 %.

Vous dites que votre handicap ne vous donne pas tous les droits et vous reconnaissez avoir été un « gosse capricieux » après votre accident.

Quand on est à l’hôpital, on est surprotégé et on a peur du monde extérieur. On a l’impression que tout nous est dû. Par exemple, quand je suis rentré à la maison, j’appelais mes proches pour qu’ils m’apportent un verre d’eau. Je ne le faisais pas exprès, pour moi c’était naturel. Pourtant, je pouvais bouger. Et puis mes parents et mes amis m’ont ouvert les yeux. Ils m’ont aidé dans ce combat pour l’autonomie. Ils m’ont convaincu que j’étais capable de redevenir quelqu’un.

Malgré cela, vous ne prônez pas l’autonomie à tout prix. Pourquoi ?

Mon sésame, c’est accepter l’aide des autres. La joie de demander un coup de main. Par exemple, dans un restaurant, s’il y a un escalier, je demande à quatre personnes de me monter. En général, elles acceptent et repartent avec le sourire. On a alors partagé un bon moment. On ne peut pas toujours tout faire tout seul, il faut accepter que quelqu’un d’autre le fasse pour toi. Mais chaque être humain ne l’accepte pas, on est tous différents et on réagit différemment face à l’adversité.

La loi sur le handicap a 10 ans. De nombreux progrès ont été réalisés mais tous les lieux publics ne sont pas encore accessibles en France…

En dix ans, seulement 15 % des lieux publics sont devenus accessibles ! On a pourtant envie d’être de vrais citoyens. Concernant la scolarisation, beaucoup de progrès ont été faits* mais il n’y a pas encore assez d’enfants scolarisés. Positivons quand même, on progresse aujourd’hui, le handicap n’est plus anxiogène. On le fuit moins. On s’est rendu compte par exemple que dans les entreprises, on pouvait aménager le temps et le poste de travail pour les personnes handicapées. Et puis on en parle dans des films, à la télévision… Qui aurait imaginé il y a quelques années une chronique sur le handicap dans une émission comme « Le Magazine de la santé » ? Cela fait maintenant un an et demi que je l’anime une fois par mois. Je fais également des conférences en entreprise sur le dépassement de soi et les valeurs d’optimisme.

* 260 000 enfants étaient scolarisés à la rentrée 2014, le chiffre a doublé en dix ans.

Votre prochain défi ?

Dormir… Il faut savoir s’arrêter, le sport de haut niveau c’est fini pour moi. Mais j’ai quand même un rêve : être la première personne handicapée dans l’espace.

« Plus fort la vie »

Suite à une électrocution en 1994, Philippe Croizon a été amputé des quatre membres. Cet ancien ouvrier métallo a décidé de se battre et de se lancer des défis. Il passe du « sportif canapé » au sportif de haut niveau. Il traverse la Manche à la nage en 2010 et relie les 5 continents en 2012. Il raconte cet exploit réalisé avec Arnaud Chassery, un « valide » dans Plus fort la vie paru en février 2014 aux éditions Arthaud. Et il aime rappeler avec le sourire que « c’est un nageur valide qui a fait la même chose qu’un nageur handicapé ».

Une web-série « Vis mon sport »

Philippe Croizon a participé récemment au tournage de la web-série « Vis mon sport »* pour faire découvrir les spécificités du handisport. Des jeunes « valides » ou non, âgés de 10 à 25 ans, ont suivi pendant une journée d’entraînement Théo (nageur de 14 ans amputé des quatre membres), Souad (joueuse de tennis fauteuil), Timothée (athlète handisport non voyant) et Sandrine (judokate malvoyante). Objectif ? Faire comprendre à tous quelle force mentale exceptionnelle les pousse à dépasser leurs limites. Les épisodes sont diffusés sur le site Vis mon sport.

* Avec Harmonie Mutuelle. Cette web-série est également soutenue par lequipe.fr

Par Propos recueillis par Cécile Fratellini

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