Jacques Lauzel est un grand gaillard, à la voix forte et au regard perçant. Après une carrière dans la publicité, le chômage et des problèmes familiaux l’ont conduit à la rue. « Pendant trois ans, c’était la galère. On m’a dépanné, j’ai dormi dans des foyers, et aussi sur des trottoirs », raconte le sexagénaire. C’est lors d’un séjour à l’hôpital psychiatrique qu’il entend parler du dispositif Un chez soi d’abord et qu’il soumet son dossier. À peine deux mois plus tard, il obtient les clés de son nouvel appartement. C’était en janvier 2018. « Ça a été très rapide. J’ai emménagé dans un logement tout beau, tout neuf, tout repeint dans une résidence dans un chouette quartier, explique-t-il. “Un chez soi” m’a sorti de la rue ».
Le dispositif est inspiré de la démarche Housing First (Un logement d’abord, en français) née aux États-Unis, et qui y a fait ses preuves. Un chez soi d’abord s’adresse spécifiquement aux personnes sans-abris avec des troubles psychiques sévères ou des addictions. Soit un tiers des personnes à la rue selon les chiffres de l’Observatoire du Samu social de Paris de 2010.
Le principe est simple : proposer à ces personnes l’accès à un logement ordinaire, directement depuis la rue, sans passer par l’habituel long processus semé d’embûches : hébergement d’urgence puis hébergement social et enfin logement ordinaire. « La démarche est révolutionnaire pour les professionnels de l’action sociale. Un Chez soi d’abord présuppose que les gens ont des compétences, qu’ils sont à même de savoir ce qui leur convient et qu’ils peuvent concourir à leur rétablissement. Cela s’appuie sur le droit commun, et ce sans condition : les sans-abris n’ont pas à justifier d’un état de santé particulier ou d’un suivi médical. Comme pour tout un chacun, quand il veut louer un logement », détaille Bruno Torregrossa, coordinateur du dispositif à Paris pour l’association Aurore.
Pour autant, le logement n’est pas considéré comme une fin en soi mais comme un moyen. Avoir un toit au-dessus de sa tête est le préalable fondamental avant toute prise en charge de soins et une démarche d’insertion.
Une fois installées, les personnes bénéficient d’un accompagnement adapté et coordonné par Un chez soi d’abord. « L’orientation est le rétablissement en santé mentale, précise Bruno Torregrossa. Jacques Lauzel souffrait de problèmes d’addiction à l’alcool, il est sobre depuis huit mois. « C’est grâce à ma volonté, assure-t-il tout en concédant que certainement Un chez soi d’abord « m’a aidé à trouver la force d’arrêter de boire… ». Mais surtout quand il évoque les bénéfices du dispositif il parle d’une nouvelle « famille retrouvée » avec l’équipe et les locataires. « “Un chez soi” amène de l’amour, du beau, de l’énergie, de la gentillesse, de la bienveillance, de l’humanité dans ce qu’ils font. Et ça fait du bien ».
C’est sans doute pour ces raisons, que le retraité s’investit dans le projet : il participe à des conférences et présente le dispositif dans des hôpitaux en tant que locataire-témoin. Il envisage également de lancer une association pour créer de l’animation et des temps de rencontres entre les locataires, en plus de ceux organisés par le dispositif.
Cinq ans après la mise en place de l’expérimentation parisienne en 2011, 96 % des personnes intégrées dans le dispositif sont toujours suivies, dont 86 % sont encore dans leur logement et 80 % reçoivent des soins de santé mentale, d’après les chiffres fournis par l’association.
C’est à l’aune de ces résultats encourageants que le gouvernement français a décidé de généraliser le dispositif, après l’expérimentation lancée en 2011 à Marseille, Lille, Toulouse et Paris. Il est prévu d’ouvrir quatre nouveaux dispositifs tous les ans, jusqu’à atteindre 20 en France et 2 000 « places » Un chez soi d’abord d’ici à 2023. Même si Bruno Torregrossa en convient, « nous sommes encore loin des besoins ».