Violences conjugales : doit-on déroger au secret médical ?

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Par Pauline Hervé

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Une proposition issue du Grenelle des violences faites aux femmes suggère la possibilité, pour un médecin, de saisir la justice sans l’accord de sa patiente dans certains cas. Cette potentielle exception au secret médical est loin de faire l’unanimité.

Permettre aux médecins de signaler des cas de violences conjugales sans l’accord de leur patiente, et donc faire une exception au secret médical : c’est une proposition issue du Grenelle des violences faites aux femmes, en septembre 2019. Celle-ci pourrait bientôt être inscrite dans la loi. Mi-décembre 2019, le Conseil national de l’Ordre des médecins y a en tout cas exprimé son soutien.

Certains praticiens se félicitent d’une mesure qu’ils estiment nécessaire depuis longtemps. C’est le cas du Dr Jacques Saboye, chirurgien plasticien et ex-président de la Société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SoFCPRE). « Nous sommes trop souvent confrontés à des patientes qui arrivent avec des fractures, des plaies diverses, et prétendent être tombées à vélo, avec le mari à côté qui veille. Et nous ne pouvons rien dire ! » La SoFCPRE préparait depuis un an son colloque sur les violences faites aux femmes lorsque le Grenelle a été organisé. « Une intervention était même prévue sur ce sujet : Le secret médical et la non-assistance à personne en danger, où est la limite ? » souligne le Dr Saboye.

Les violences faites aux femmes

En France, chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.

121 féminicides ont été recensés en France en 2018 par la délégation d’aide aux victimes. Selon le Collectif Nous Toutes, on en compte 149 aussi en 2019.

« La peur va changer de camp »

Pour le chirurgien, les textes actuels ne sont pas assez clairs. « Il est déjà arrivé à un conjoint accusé de violences de dénoncer le praticien auprès de l’Ordre, pour non-respect du secret médical. Certains ont récolté une interdiction d’exercer de plusieurs mois ! » Selon le Code pénal, le secret médical peut déjà être levé dans deux cas bien précis : pour les mineurs et les patients en incapacité physique ou psychique. Pour le Dr Saboye, une nouvelle exception devrait permettre de mieux protéger les femmes. « Le médecin parle à sa place, la patiente peut être soulagée car ce n’est pas elle qui sera accusée de faire voler la famille en éclats… La peur va changer de camp si les agresseurs savent que le médecin peut faire un signalement. »

Cet argument est dénoncé par les opposants à cette proposition, comme Gilles Lazimi, professeur en médecine générale et membre de SOS Femmes 93 et du Collectif féministe contre le viol. « Les victimes de violence n’attendent qu’une chose : la confidentialité, le respect, de l’aide mais surtout pas que d’autres fassent à leur place comme c’est déjà le cas à leur domicile ». Le Dr Lazimi en est persuadé : la loi et le code de déontologie des médecins sont suffisamment clairs en cas de danger vital. Si le nombre de féminicides ne baisse pas depuis quinze ans en France, c’est « en raison d’une inefficacité des politiques publiques. « Il faut de vrais moyens, et notamment humains pour que toute plainte déposée soit instruite et qu’elles ne soient pas classées sans suite comme dans 80 % des cas des féminicides étudiées dans l’étude du ministère de la Justice de novembre 2019 ! – que toute femme qui sort du commissariat soit protégée, que les lois existantes soient appliquées, que les hommes violents soient éloignés et que des hébergements spécialisés voient le jour de façon massive ». Il rappelle également que le Collège de médecine générale a exprimé son « inquiétude » face à cette proposition.

Une véritable emprise psychique

Liliane Daligand, docteure en médecine et en droit, professeur émérite de médecine légale, psychiatre, et présidente de l’association Viffil-SOS Femmes s’appuie sur son passé professionnel pour évoquer cette proposition. « Il m’est arrivé, à l’hôpital, de faire des signalements de femmes arrivées aux urgences, victimes de violences conjugales ». Selon elle, nul besoin d’ajouter un nouveau texte. La dérogation au secret existe déjà. « Si le médecin estime que la patiente majeure n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire. Or j’estime qu’une femme victime de violences à répétition n’est pas en mesure de se protéger car elle a peur et est sous emprise psychique ».

Et Liliane Daligand de souligner que, dans la loi, ce signalement aux autorités ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur – donc du médecin. « Ce qu’il faut, c’est sensibiliser les médecins à l’écoute des victimes et à leur protection. Cela commence à se faire, mais il faut connaître les règles du secret, ces dérogations... et les appliquer », conclut-elle.

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