En quête du bien-être au travail

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Victoire N’Sondé

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Les salariés attendent aussi de l’entreprise qu’elle contribue à leur bien-être. Comment expliquer cette aspiration nouvelle ? Quels sont les leviers pour y accéder ? On fait le point à l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail, du 19 au 23 juin 2023.

A première vue, associer quête du bien-être et travail peut sembler incongru. Pourtant, les experts s’accordent à dire que c’est une des aspirations fortes des salariés. Pour preuve, ce sujet s’est imposé comme un thème central des Rencontres « Le travail dans tous ses états » organisées par le Conseil économique social et environnemental (Cese) en mai 2023.

Le colloque réunissait économistes, sociologues, ancienne ministre, directeur technique de l’Agence nationale de l’amélioration des conditions de travail (Anact), membres du Cese, etc. Les messages forts véhiculés lors de cette journée, qui a mis en lumière une quête du bien-être au travail, entrent en résonance avec la Semaine pour la qualité de vie au travail, qui se tient du 19 au 23 juin 2023.

Dès l’ouverture des débats, le ton était donné par Philippe Aghion, invité en tant que grand témoin. « En France, on peut faire beaucoup plus pour améliorer le bonheur au travail. Il n’y a pas toujours un souci des chefs d’entreprise à pousser les employés à s’épanouir et à progresser », a déploré l’économiste, professeur au Collège de France et à la London School of Economics.

Le travail, « insoutenable » pour plus d’un salarié sur trois

Le constat est là. Une part non négligeable de Français ne sont pas heureux au travail. Ainsi, 37% des salariés ne se sentent pas capables de tenir jusqu’à la retraite, selon une enquête d’envergure publiée en mars 2023 par la Dares, une direction qui dépend du ministère du travail (1). A noter que les personnes ont été sondées en 2019, donc bien avant la crise sanitaire et la réforme des retraites de 2023…

Toutes les catégories socio-professionnelles sont concernées par cette désaffection du travail. Si le taux d’insatisfaction culmine à 39% chez les ouvriers et les employés, il atteint déjà 32 % chez les cadres. Principaux facteurs identifiés dans l’enquête pour expliquer cette « insoutenabilité » du travail pour bon nombre de Français : l’organisation et les conditions de travail mais aussi la situation du salarié, notamment son état de santé ou l’articulation de son travail avec sa vie privée.

Pour Dominique Méda, directrice de l'Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales de l'Université Paris Dauphine, l’une des intervenantes du colloque, ces chiffres témoignent d’une « véritable crise du travail en France ».

Et la sociologue de s’inquiéter : « Ce qui caractérise la France, c’est le manque d’autonomie des salariés et le fait qu’ils n’ont pas voix au chapitre. Les salariés français sont les moins consultés en Europe, à la fois sur les objectifs qui leur sont fixés et sur la participation aux décisions concernant leur travail ».

Aller vers plus d’autonomie ou un statut d’indépendant

Selon l’enquête de la Dares (1), les organisations du travail qui favorisent l’autonomie, la participation des salariés et qui limitent l’intensité du travail tendent à rendre celui-ci plus supportable.

Quitter le statut de salarié pour celui d’indépendant est également identifié comme un moyen d’échapper à l'insatisfaction au travail. Avec un bémol : dans les faits, les personnes qui suivent cette trajectoire sont peu nombreuses, surtout à des âges avancés.

Télétravail et baisse du chômage changent la donne

Les spécialistes relèvent aussi qu’une meilleure conciliation vie professionnelle / vie privée est devenue un enjeu crucial. La crise sanitaire avec la généralisation du télétravail a accéléré et amplifié cette aspiration déjà à l’œuvre avant le Covid. « Avec le télétravail, on peut caser les différents moments de la journée de manière plus flexible. Ceux qui étaient en télétravail pendant le confinement ont pris l’habitude de se poser la question de leurs propres organisations et désormais ils entendent continuer », a confirmé Claudia Senik, professeure à Sorbonne Université et à l'École d'économie de Paris, et directrice de l'Observatoire du bien-être (Cepremap (2)).

Pour Pierre-Olivier Ruchenstain, membre du Cese, la forte baisse du chômage constitue l’autre évènement majeur qui modifie les rapports de force au travail. « Beaucoup de salariés ont le choix du territoire, de l’entreprise…. Ça implique une nouvelle dynamique », a insisté ce dernier.

Enfin, le fait de trouver un sens à son travail participe également au bien-être en entreprise. « Même les métiers à haute teneur en sens et en vocation (les métiers d’accompagnement, de la relation…) sont exposés à de grandes désillusions quand les conditions de réalisation du travail et l’organisation ne sont pas soutenantes », a relevé Matthieu Pavageau, directeur technique et scientifique de l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), également présent au Cese.

En bref, les Français comptent moins sur le travail pour accéder au bonheur. Mais est-ce si grave ? Pas forcément, a jugé Muriel Pénicaud, également participante au colloque du Cese. « Le travail a été détrôné de sa première place, ce n’est pas forcément négatif. On a eu 30 ans de chômage de masse pendant lesquelles on a pris l’habitude de faire moins attention au bien-être dans l’entreprise. Avant, il suffisait de sélectionner les gens. Aujourd’hui, il faut les séduire pour les faire venir puis pour les garder ». Mais l’ancienne ministre du travail se veut optimiste : « Le bien-être et l’efficacité au travail peuvent aller ensemble ».

Quatre sources de bien-être au travail

L’économiste Claudia Senik, qui dirige l'Observatoire du bien-être [Cepremap (2)], identifie quatre sources de bien-être au travail :

  1. Les relations avec les collègues ainsi que la reconnaissance par les managers et par les dirigeants
  2. Les perspectives de progression
  3. L’autonomie
  4. Le sens de son travail et l’impact de son entreprise sur la société

(1) Ce chiffre est issu de l'enquête « Conditions de travail » réalisée périodiquement par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) auprès d’individus âgés de 15 ans ou plus et résidant en France.

(2) Centre pour la recherche économique et ses applications

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