François-Xavier Albouy, économiste : « Il faudrait un véritable choc de prévoyance dans ce pays »

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Angélique Pineau-Hamaguchi

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Elle est méconnue des Français, voire un peu boudée. La prévoyance est pourtant un rempart indispensable contre les conséquences financières de certains risques, comme la perte d’autonomie. Le point avec François-Xavier Albouy, économiste.

À la différence de la mutuelle, qui rembourse les soins en complément de l’Assurance maladie, la prévoyance permet de se protéger pour faire face aux aléas de la vie qui pourraient survenir. Elle peut ainsi couvrir différents risques, pour soi-même et pour ses proches, comme les arrêts de travail, l’invalidité, la dépendance, le décès, les obsèques… C’est un moyen de compenser une perte de revenus conséquente ou d’assumer des dépenses lourdes, tout en maintenant son niveau de vie.

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François-Xavier Albouy est économiste spécialisé dans les risques. Il est également membre du Club Landoy (un think tank dédié à la « révolution démographique ») et de l’Institut de la longévité (ILC France).

Dans cette interview, il évoque à la fois la méconnaissance des Français pour la prévoyance, malgré l’importance de celle-ci, et les solutions pour parvenir à une meilleure couverture au sein de la société.

La prévoyance : une notion très floue

Pourquoi les Français sont-ils si peu protégés ?

François-Xavier Albouy : La prévoyance est un peu la mal aimée de la protection sociale. Cette appellation un peu fourre-tout regroupe des garanties très différentes. Le concept peut donc paraître abstrait. Il fait référence à des risques auxquels on ne pense pas – ou auxquels on ne veut pas penser – au quotidien. Par ailleurs, ces dernières années, on s’est énormément préoccupé de la retraite et de la santé, et il est vrai que c’est nécessaire, mais la prévoyance a été un peu oubliée, ignorée.

Peut-être faut-il être plus pédagogique sur le sujet pour que le grand public et les entreprises (qui peuvent mettre en place des contrats pour leurs salariés) comprennent son intérêt. On a tendance à penser qu’en cas de catastrophe, l’État prendra toujours le relais, à travers la protection sociale. Or, ce n’est pas le cas. On croit aussi souvent qu’en cas de coup dur, on pourra puiser dans son épargne personnelle ou utiliser son patrimoine. Mais l’un et l’autre sont rarement à la hauteur des besoins et des enjeux.

Pour une généralisation de la prévoyance

Quelle serait la solution selon vous ?

F-X. A. : Il faudrait appeler à un véritable choc de prévoyance dans ce pays, en particulier en raison du vieillissement de la population. C’est essentiel pour protéger les familles et leur patrimoine. On a besoin d’un ANI (accord national interprofessionnel)* sur la prévoyance, comme il y en a eu un sur la santé, afin que la majorité des citoyens, quels que soit leur condition, leur âge et leur catégorie sociale, puissent être couverts par des garanties prévoyance. Au regard des risques, c’est indispensable.

* L’Accord national interprofessionnel, ou loi ANI, a conduit notamment à la généralisation de la complémentaire santé à l’ensemble des salariés du privé, effective depuis le 1er janvier 2016. Et ce, afin d’améliorer la couverture santé en France.

Une solution pour améliorer le quotidien

Le coût peut-il être un frein au développement de la prévoyance ?

F-X. A. : Avant le coût, encore une fois, il y a un problème de compréhension de ces garanties, qui devraient être plus lisibles pour le grand public, et un manque de communication autour de la nécessité de se protéger. Quant au coût, en réalité, je ne pense pas qu’il soit excessif en comparaison des risques couverts.

Si on prend l’exemple de la dépendance, les dépenses sont considérables lorsqu’on y est confronté. Regardez le coût d’une place en Ehpad sur plusieurs années. C’est encore plus vrai pour le handicap d’un enfant. Car il va falloir prendre soin de lui toute sa vie, y compris lorsqu’il sera à la retraite et que ses parents auront disparu. Aucune finance personnelle ne peut résister à cela. Et il y aura un impact sur toute la famille, y compris la fratrie.

La prévoyance couvre ainsi des risques qui peuvent devenir des catastrophes individuelles. Mais très concrètement, c’est aussi une façon d’augmenter le pouvoir d’achat des personnes concernées et de leur entourage, afin d’améliorer leur vie quotidienne. Et cela peut réduire les coûts de prise en charge pour la Sécurité sociale.

Un potentiel impact sur le déficit de la Sécurité sociale

En quoi la prévoyance permet-elle de limiter les dépenses de la « Sécu » ?

F-X. A. : En cas de décès, si vous disposez d’une garantie de rente éducation et de soutien à vos enfants, c’est toujours cela que l’assistance publique n’aura pas à prendre en charge. Autre exemple : si un handicap survient alors que vous êtes protégé pour ce risque, vous allez pouvoir bénéficier des derniers matériels, les plus sophistiqués. Et c’est toujours cela que la Sécurité sociale n’aura pas à financer.

La prévoyance est donc l’un des moyens de contenir l’explosion des dépenses de la Sécurité sociale et de mutualiser le plus largement possible le risque.

Quelques chiffres sur la prévoyance

1 Français sur 2 mal informé

Plus de la moitié des actifs ne connaissent pas leurs garanties de prévoyance. Et plus généralement, un Français sur deux se déclare « mal informé » dans ce domaine. Mais 80 % des Français sont favorables à ce que tous les actifs bénéficient d’une couverture prévoyance financée, au moins en partie, par leur employeur.

Source : étude ViaVoice pour le Groupe VYV, publiée en janvier 2023.

Le coût de l’imprévoyance : 15 milliards d’euros par an

L’imprévoyance est le total des prestations de prévoyance non versées aux familles confrontées à une maladie ou un accident, en raison d’une couverture insuffisante. Et son coût est estimé à 15 milliards d’euros par an.

Source : Observatoire de l’imprévoyance du Groupe VYV.

4 millions de seniors dépendants

En 2050, 4 millions de seniors devraient être en perte d'autonomie. Ils étaient 2,5 millions en 2015.

Source : Insee Première 2019.

Arrêts de travail longs : 9 % des salariés concernés

Au cours des trois dernières années, 9 % des salariés du privé et des agents de la fonction publique ont connu une période d’arrêt de travail de plus de 3 mois. La baisse de revenus est alors estimée à 27 % en moyenne.

Source : étude de l'institut Audirep pour l'Observatoire de l'imprévoyance du Groupe VYV, juillet 2023.

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