Pr Franck Chauvin : « La prévention est la seule solution pour sauver notre système de santé »

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Angélique Pineau-Hamaguchi

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Comment faire face à la hausse des dépenses de santé et au poids grandissant des maladies chroniques ? En réduisant le nombre de malades grâce à la prévention, répond le Pr Franck Chauvin, professeur de santé publique.

Cancérologue de formation, le Pr Franck Chauvin a été président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de 2017 à 2022. Actuellement professeur de santé publique à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, il est président de l’instance de réflexion stratégique pour le développement des soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l'accompagnement de la fin de vie.

Le Pr Franck Chauvin est également l’auteur d’un rapport intitulé Dessiner la santé publique de demain, remis en mars 2022, qui proposait des solutions pour faire évoluer le système de santé publique français. Dans cet entretien, il évoque la nécessité de développer massivement la prévention en France, en particulier pour diminuer les maladies chroniques à l’essor galopant.

Un système de santé où la prévention a peu de place

Les dépenses de santé sont en hausse en France ces dernières années. Le risque n’est-il pas de mettre à mal notre système de santé ?

Pr F.C. : Plus qu’un risque, c’est une certitude. Nos dépenses n’augmentent pas par hasard mais parce qu’il y a trop de malades dans notre pays. Notre système de santé n’est plus du tout adapté aux enjeux d’aujourd’hui. Il a été conçu dans les années soixante-dix pour une population qui était jeune, globalement en bonne santé et qui faisait face à des maladies aiguës. Cinquante ans après, le paysage a complètement changé. La population est âgée et les maladies sont devenues chroniques.

Il faut absolument qu’on le réoriente, du curatif vers le préventif, pour qu’il devienne un véritable système de santé et non plus seulement un système de soins. La prévention est en effet la seule solution pour le sauver. Il faut qu’elle infuse partout, dans toutes ses composantes. La Suède a fait ce choix, il y a une trentaine d’années. Résultat : aujourd’hui 77 % des Suédois arrivent en bonne santé à 65 ans. C’est le cas de moins d’un Français sur deux.

12 % de notre PIB déjà consacré à la santé

La prévention est-elle réellement la seule option ?

Pr F.C. : La seule alternative serait de remettre de l’argent dans le système. Toutefois, environ 12 % de notre PIB est déjà consacré à la santé (avec quelques variations d’une année sur l’autre). On figure parmi les pays qui dépensent le plus au monde pour leur santé. Et malgré cela, nos indicateurs sont mauvais, notamment en termes d’inégalités de santé, d’espérance de vie en bonne santé, de mortalité prématurée… En fait, tous les indicateurs, en dehors de l’espérance de vie brute, nous placent dans des positions médiocres en Europe et dans le monde.

Notre système de santé devrait produire de la santé. Or, on s’aperçoit qu’il coûte très cher pour un résultat somme toute discutable.

Les maladies chroniques pourraient être évitées

Peut-on parler de véritable fléau à propos des maladies chroniques ?

Pr F.C. : Sans conteste. Notre système de santé est complètement saturé par les maladies chroniques. Le vieillissement de la population et les progrès de la médecine font que le nombre de personnes concernées est en hausse constante. Il augmente à un rythme de 2,5 % par an actuellement. Et en 2022, 36 % de la population a consulté, a été prise en charge, a reçu un traitement ou a été hospitalisée pour une de ces maladies. C’est considérable et le système ne peut pas tenir ainsi.

L’essentiel des dépenses de santé est consacré à corriger des pathologies que la société engendre elle-même, par ses comportements. Le plus simple serait de ne pas les générer. D’ailleurs, la plupart de ces maladies sont évitables : une partie des diabètes, comme une part importante des cancers par exemple. La France a l’un des taux de fumeurs les plus élevés d’Europe. L’obésité est aussi une calamité, tout comme l’alcool.

Pour autant, l’idée n’est pas de culpabiliser les gens en leur disant : si vous avez contracté telle maladie, c’est votre faute, mais plutôt de les informer, de les éduquer pour qu’ils comprennent que c’est d’abord dans leur intérêt que de changer leurs habitudes. La plupart de nos comportements sont conditionnés. Aucun fumeur ne fume parce qu’il a décidé de fumer. C’est la société qui l’a incité à commencer et la dépendance fait qu’il n’arrive plus à arrêter.

Sensibiliser à l’école, dans les entreprises…

L’éducation à la santé, dès le plus jeune âge, est-elle un moyen de faire évoluer nos comportements ?

Pr F.C. : Il faut en effet développer ce qu’on appelle la littératie en santé, que l’on pourrait traduire par la culture en santé. L’essentiel de nos comportements étant déterminé à partir de l’âge de 13 ou 15 ans, il faudrait agir dès l’enfance, dès la petite enfance même. En Corée du Sud, cette culture existe. Or c’est un pays qui a beaucoup mieux résisté que nous à la crise liée au Covid. Les enfants, même très jeunes, savaient ce qu’était une épidémie, pourquoi il fallait porter un masque et connaissaient les autres gestes barrière.

D’ailleurs, cela fonctionne déjà en France dans d’autres domaines. Les tout-petits sont sensibilisés à l’écologie à l’école. Et ce sont eux désormais qui incitent leurs parents à changer leurs habitudes, à faire du tri sélectif, à prendre le vélo… Les messages de prévention pourraient donc être intégrés dans les manuels scolaires.

L’école n’est pas le seul lieu où l’on peut agir. Il y a aussi l’endroit où l’on vit (les collectivités territoriales peuvent avoir un rôle majeur), l’endroit où l’on se soigne et surtout l’endroit où l’on travaille. En France, on fait relativement peu de prévention dans les entreprises par rapport à d’autres pays comme ceux de l’Europe du Nord. Or, elles ont une responsabilité. Elles pourraient tout à fait développer des programmes de prévention en direction de leurs salariés contre le tabac ou l’alcool, pour une meilleure alimentation…

Définition : la littératie en santé

Selon Santé Publique France, la littératie en santé désigne la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l'information en vue de prendre des décisions concernant leur santé.

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